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Nos paysans s’associaient, sans aucune espèce d’arrière-pensées politiques, à ces solennités religieuses. Les familles pieuses entraînaient les autres. Mais à quoi bon les distinguer ? Il n’y avait entre elles que des différences de fortune et d’autorité morale. Tous ces gens-là, sans être ce qui s’appelle des dévots, étaient profondément attachés à la religion de leurs anciens. Quelle belle assistance aux offices du dimanche. Tandis que les pères et les mères occupaient les bancs de la nef, les garçons entendaient la messe dominicale, tassés sous la tribune de l’orgue et, comme on disait, sous le clocher. Après dîner, jusqu’à l’heure des vêpres, ils jouaient au bouchon devant le porche de l’église, au milieu des pierres tombales du cimetière. Et, le soir, ils revenaient encore pour le salut, et aussi pour guetter, dans l’obscurité complice, la sortie de leurs « bonnes amies. » Tous participaient au culte. Les gamins étaient enfans de chœur, l’instituteur chantait au lutrin, les conscrits présentaient le pain bénit et, le jour de la fête patronale, ils offraient en grande pompe à saint Pierre, patron de la paroisse, un superbe bouquet orné de rubans multicolores. Les hommes murs portaient le dais dans les processions.

De mon temps, cet honneur semblait fixé dans la famille de mon petit ami Louis Génin. Je vois encore son père et ses oncles, aux jours de Fête-Dieu, sanglés dans leurs redingotes noires, nu-tête, le haut-de-forme collé sous l’aisselle, saisissant de leurs grosses mains calleuses les bâtons gainés de velours grenat et empanachés de plumes blanches, qui soutenaient les draperies cramoisies du dais. Ils avaient des figures singulièrement expressives, ces rudes ouvriers de la terre, en qui les instincts brutaux du paysan se tempéraient de bonhomie patriarcale. Et ils avaient aussi quelque chose de sacerdotal, non seulement dans leurs profils aux joues rases et au grand nez dévotieux, mais dans tout leur maintien compassé. De quel air pénétré ils s’agenouillaient dans la poussière, au moment de la bénédiction du Saint-Sacrement, tenant toujours d’une main le bâton gainé de velours, et, de l’autre, glissant sous leurs genoux un mouchoir de cotonnade bleue, pour ne point gâter leurs beaux pantalons… L’instant d’après, on les retrouvait déshabillés, en blouses du dimanche, faisant leur partie de