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celle-ci, la queue au vent, était occupée à picorer quelque vermisseau, elle la saisissait prestement par derrière, et, sans pitié, malgré les caquets exaspérés de la bestiole, elle lui plumait le ventre jusqu’à mettre la peau complètement à nu. Après quoi, elle attrapait par les deux ailes la coupable, qui redoublait ses cris déchirans, et, trottant au plus vite sous sa jupe ballonnée, elle courait la plonger dans les magnifiques touffes d’orties qui garnissaient le terre-plein de l’église. Cruellement brûlée, la peau du ventre à vif, la poule recroquevillait ses pattes, poussait des gloussemens de plus en plus éperdus. Mais avec le geste large de la repasseuse qui promène son fer sur la planche, la vieille impitoyable repassait la bête dans les orties, l’y balançait, l’y bassinait avec sollicitude. Et, quand elle la jugeait suffisamment échauffée par les « chaudures, » elle la lâchait tout soudain. La poule, d’abord étourdie par cette thérapeutique sévère, reprenait peu à peu ses esprits. Roulant son œil rond, elle lançait vers la mère Charton un regard de protestation indignée, se redressait dans son plumage avec des airs de matrone offensée, et, tout à coup, le ventre en feu, elle se précipitait vers la « poulerie, » pour s’y rafraîchir sur ses œufs délaissés, que, parait-il, elle ne quittait plus.

Avec une déplorable tendance à négliger le côté utilitaire des choses, j’assistais, très amusé, à ce supplice, dont je ne voulais pas savoir le pourquoi. Je m’en étais donné une explication à ma convenance. Je m’étais convaincu que l’hygiène des poules exigeait ce traitement barbare, qu’elles en avaient besoin à date fixe, et que, d’ailleurs, il n’y avait pas d’autre moyen de leur faire pondre leurs œufs. Enfin, selon mes idées d’enfant, les poules voulaient être balancées dans les orties.

C’est un spectacle que la mère Charton me donnait souvent.


D’autres occupations non moins sérieuses remplissaient ses journées. Dans son jardin, elle ramait elle-même ses fèves et ses pois, piochait ses pommes de terre, sarclait et émondait ses plates-bandes. Elle coulait ses lessives, les étendait, les raccommodait. Quoi encore ? Pendant la moisson, elle allait glaner dans ses champs, derrière les charrettes de ses fermiers, afin de rapporter à ses poules le régal des épis nouveaux. Et quand