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rainettes. Derrière le poêle, s’ouvrait la « taque, » espèce de placard adossé à la cheminée de la cuisine, tout contre la plaque du foyer, ce qui entretenait à l’intérieur une chaleur douce fort propice aux métamorphoses du laitage. Mais, dans la taque de la mère Charton, on ne voyait pas, comme ailleurs, d’imposantes rangées de pots de grès, où tremblaient des laits caillés, où s’épaississaient des crèmes onctueuses : elle en avait fait son coffre à bois.

J’arrivais, tout frileux, dans ce lieu de délices, égayé, pour moi, par la bonne chaleur du poêle. La nuit tombait. Je venais de glisser sur l’Othain avec les polissons du village. J’avais les pieds brûlans et les mains gelées. Alors, bien doucement, pour ne pas me faire mettre à la porte, j’allais ramasser un petit banc, une « marchette, » dans l’angle de la fenêtre, et je m’installais tout contre le fourneau, étendant mes doigts gourds devant la fonte rougie. Sous la calotte du poêle, la soupe réchauffée de la vieille sentait bon. Je l’entendais mijoter sourdement sous le couvercle. Et je me recroquevillais pour occuper le moins de place possible ; je ne soufflais mot, je ne bougeais pas… La mère Charton, qui venait de rentrer ses poules, se tenait à sa place accoutumée, sur son fauteuil de paille, devant la croisée. Elle achevait son tricot, s’évertuait jusqu’à la dernière minute de jour. De temps en temps, elle se penchait contre les vitres, pour dévisager lunettes, repoussait son tricot, lorsque, tout à coup, l’angélus tintait au clocher. Elle se signait, expédiait un Ave, et, dans cet envahissement funèbre de l’ombre, ce les rares passans qui rasaient les murs du logis. Dehors, le courrier d’Etain à Longuyon stationnait devant l’auberge du Lion d’Or, tandis que le garçon d’écurie changeait les chevaux. Le conducteur sacrait, l’homme de la poste hissait sous la bâche son sac de dépêches, et, bientôt, l’attelage repartait dans un grand vacarme de ferrailles et de grelots. Avec la neige qui tombait, le silence s’étendait, en couches profondes, sur le logis. On ne voyait presque plus clair. La mère Charton, en bâillant, ôtait ses glissement, cet effacement de toutes les formes, elle songeait sans doute à « not’ Chartron, » qui reposait tout près d’elle, à deux pas, contre le mur de l’église. On ne distinguait plus les tombes du cimetière. Mais elle savait qu’il était là, dans ce « cimetier, »où elle irait le rejoindre. Bien vite, elle tirait son chapelet, et elle