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La crise intérieure dont depuis seize ans souffrait le pays, loin d’avoir été dénouée par la chute du dictateur, s’était envenimée du déchaînement des passions haineuses suscitées par l’événement entre les factions aux prises. Un parti stambouloviste s’était formé et battait en brèche le ministre Stoïlof, appliqué à chercher le salut dans un rapprochement avec la Russie. Derrière le ministère, c’est le prince lui-même que Stamboulof visait. De jour en jour, plus souvent calomnieuses que fondées, les attaques se multipliaient et affectaient une violence tragique. Un récit récemment publié[1] et dont l’auteur était alors secrétaire particulier du prince Ferdinand, lui impute formellement la responsabilité de cette situation. Il nous le montre à la veille de devenir lui-même victime des intrigues dont il était L’instigateur. En jouant tour à tour de l’influence russe et de l’influence autrichienne, en les opposant l’une à l’autre et en affaiblissant du même coup la stabilité de son ministère déjà singulièrement compromise par l’imprévoyance et l’incapacité de Sloïlof, Ferdinand s’était créé de tels embarras que, dans le public et même dans la presse, on discutait l’éventualité de son abdication. Elle apparaissait comme si probable que le représentant du gouvernement austro-hongrois à Sofia, le baron de Burian, avait fait demander à l’empereur François-Joseph quelle situation le Cabinet de Vienne voudrait garantir au prince de Bulgarie si les circonstances le contraignaient à se retirer. Le pays bulgare était donc profondément troublé par le conflit que nous rappelons.

Le 13 juillet, la Svoboda, organe de Stamboulof, s’exprimait en termes quasi féroces contre le gouvernement ; le lendemain, le Mir, organe du prince et du parti au pouvoir, répliquait en ces termes : « Si la race bulgare avait du sang dans les veines, elle attaquerait les habitations de ces traîtres à la patrie et les ensevelirait sous leurs décombres. »

Dans la soirée du 15, vers huit heures, Stamboulof sortait de son cercle, « l’Union Club, » où il avait l’habitude de passer quelques instans tous les jours avant de rentrer chez lui. Sa voiture l’attendait à la porte. Il y monta, suivi de Dmitri P’etkof, son coreligionnaire politique et son partisan dévoué. L’équipage n’était en chemin que depuis quelques minutes

  1. Revue hebdomadaire du 22 juillet 1916.