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accueille Ferdinand avec une bienveillance marquée, il donne en son honneur un dîner de gala. Il y porte à son convive un toast, auquel applaudissent tous les Magyars présens et que celui-ci peut interpréter comme un encouragement à profiter des circonstances qui troublent l’Europe pour donner suite au plan qu’il a conçu pour assurer l’indépendance du pays sur lequel il règne.

Cependant, dans ses entretiens avec François-Joseph, il ne parle pas de ses projets d’émancipation. Il se plaint de l’injure que vient de lui faire le gouvernement ottoman, en manquant de courtoisie envers l’agent bulgare à Constantinople ; il déclare qu’il le rappellera, si cette offense n’est pas réparée, déclaration qui lui vaut de la part de l’Empereur des conseils de modération et de prudence. Il renouvelle aussi une demande qu’il a déjà formulée à plusieurs reprises, à l’effet d’obtenir la Toison d’or qui jusqu’à ce jour lui a été refusée. Une fois de plus, l’Empereur se dérobe ; il allègue des scrupules de conscience ; il craint de déplaire au Saint-Siège en décorant du plus illustre de ses ordres un prince que la Cour de Rome a excommunié en 1896 et qui est toujours hors du giron de l’Eglise. Toutefois, le refus impérial est accompagné de tant de bonnes paroles et de promesses si flatteuses que Ferdinand se résigne à se contenter des assurances qui lui sont données pour l’avenir ; mais il évite de faire aucune allusion à la proclamation de l’indépendance bulgare.

Ceci se passait, nous le rappelons, à la fin du mois de septembre. A Solia, tout était prêt pour la manifestation décisive, voire un décret aux termes duquel l’armée bulgare devait être mobilisée. Cependant le prince ne se hâtait pas de rentrer dans sa capitale. En quittant Budapest, il allait s’enfermer dans son domaine de Proprad au fond de la Hongrie et il y demeurait plusieurs jours perplexe, hésitant, pesant le pour et le contre, se disant malade, ne se décidant pas, faisant tout ajourner malgré les objurgations de ses ministres qui lui demandaient de mettre fin à cette période d’incertitude. C’est seulement le 4 octobre que, cédant à leurs instances, il reparaissait à Solia, résolu à franchir le Rubicon. Le 5, recevant un membre du corps consulaire, il lui dit :

— Demain, à onze heures, je proclamerai l’indépendance de la Bulgarie.