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leurs revendications, puisque le moment serait passé où ils auraient pu se faire acheter à un plus haut prix leur neutralité.

Mais, le 28 juin, c’est-à-dire à la veille du jour où l’armée de Savof devait se mettre en mouvement, le prince Ghika, ministre de Roumanie à Sofia, rentré à son poste depuis peu de jours, se présentait par ordre de son gouvernement chez Danef et lui signifiait qu’au premier coup de canon entre Bulgares et Serbes, la Roumanie entrerait en action.

Danef poussa les hauts cris, comme devait le faire plus tard, à Berlin, le chancelier d’Allemagne, lorsque l’ambassadeur d’Angleterre vint lui déclarer que le gouvernement britannique s’opposerait par les armes à la violation de la neutralité belge. Il se répandit en plaintes, en reproches, en interrogations, jouant le plus grand étonnement. L’agent roumain dut lui rappeler les pourparlers antérieurs qu’il semblait avoir oubliés, encore qu’ils eussent eu lieu à une date toute récente. Cette déclaration déjouait l’espoir qu’avait conservé le roi de Bulgarie de retarder l’intervention roumaine jusqu’au moment où les circonstances en amoindriraient les effets. Persévérant dans son attitude énigmatique, il s’était abstenu de faire lui-même des propositions, préférant ajourner les sacrifices nécessaires et courir la chance de les voir devenir inutiles, mais la démarche du prince Ghika rendait vain ce calcul. Si le Roi s’était cru en mesure de modifier à son gré la politique roumaine, il était cruellement détrompé, réduit à l’impossibilité de négocier ou à une négociation in extremis qui rendrait plus onéreuse la neutralité du gouvernement roumain. Comme il n’osait avouer que la mise en marche de l’armée bulgare était décidée pour le lendemain, il fut impossible de continuer utilement les pourparlers. C’était sans dommage pour la Roumanie, qui n’attendait que cet ajournement pour se ranger du côté des Grecs et des Serbes, mais non sans dommage pour la Bulgarie, qui entrait en campagne avec un nouvel adversaire sur les bras, d’autant plus dangereux qu’on ne savait encore quand ni comment son intervention se produirait.

On sait que la seconde guerre balkanique commença par une attaque d’une insigne perfidie contre les Serbes et les Grecs qui n’avait été précédée d’aucune déclaration. C’était dans la nuit du 29 au 30 juin ; le général Savof avait envoyé à ses chefs de corps des ordres prescrivant une attaque sur tout le front