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Allemands tellement irritante qu’ils veulent à toute force y trouver des raisons étrangères aux qualités du personnel ou du matériel. Tantôt les artilleurs français opéreraient sur un de leurs anciens champs d’exercice, qui se seraient alors singulièrement multipliés. Tantôt ils auraient été guidés dans leur tir, au moyen de signaux lumineux ou de téléphones souterrains, par les paysans restés dans les lignes allemandes, et dès lors passibles de sévères châtimens[1]. L’invraisemblance même de ces deux explications, partout reproduites comme un mot d’ordre, permet de mesurer la profondeur du sentiment de dépit qui les a inspirées.

Avec les artilleurs, les Alpins français semblent avoir été spécialement distingués par leurs ennemis. Toutes les fois qu’il est question d’eux, les épithètes de « troupes d’élite » (kerntruppen) ou de « meilleures troupes de France » alternent dans les récits allemands avec le surnom de « chats sauvages » (wildkatzen) que leur a mérité leur agilité. Ce qui les rend particulièrement redoutables et ce qui, dans les Vosges notamment, a contribué à les entourer d’une véritable légende, c’est leur habileté à grimpée sur les arbres, d’où, cachés dans le feuillage, ils dirigent sur les assaillans un feu plongeant, de la plus terrible précision. C’est ensuite la mobilité de leurs canons de montagne (Eselskanonen) qui, transportés à dos de mulet dans les positions les plus inaccessibles, projettent sur l’infanterie ennemie une pluie de projectiles et disparaissent avant même qu’il ait été possible de les repérer. Obsédés sans doute par le souvenir des fâcheuses expériences faites dans la lutte contre d’aussi rudes adversaires, les combattans allemands en arrivent à voir des Alpins partout où ils rencontrent une résistance particulièrement tenace[2].

Leurs sentimens d’admiration n’ont d’ailleurs rien d’exclusif ; il faudrait, pour être complet, pouvoir recueillir et citer les expressions laudatives qu’ils emploient pour parler des autres corps français avec lesquels la guerre les a mis en contact : les zouaves, les « bleuets » ou coloniaux, les aviateurs « qui n’ont pas froid aux yeux, » et même la cavalerie composée « de beaux gars selon le type prussien[3]. » Il suffit de ces quelques

  1. Marschner, p. 60 ; Kutscher, p. 69 ; Thümmler, p. 38 ; Ganghofer, p. 203.
  2. Der deutsche Krieg in Feldpostbriefen, IV, pp. 120, 143, 159 ; Wiese, pp. 12, 39, 115 ; Thümmler, XV, p. 25 et XXVIII, p. 13.
  3. Thümmler, pp. 11, 30 et XXX, p. 7 ; Krack, p. 177.