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Paris, ce 9 juillet 1832.

« Madame,

« Rien ne pouvait me rendre plus heureux que votre lettre dans ce moment. Je suis touché et fier des marques d’intérêt que vous et M. Thierry voulez bien me donner. Je les méritais du moins par mon admiration sincère et mon profond dévouement pour votre illustre mari.

« Je partirai à la fin du mois pour la Suisse. Si je passe par Vesoul, ce qui est possible, j’aurai l’honneur d’aller vous voir et vous remercier. J’emporterai dans ma solitude l’espoir de me consoler un jour par la lecture des nouveaux ouvrages dont M. Thierry est occupé : il accroîtra sa renommée en augmentant la gloire de la France.

« Offrez, je vous en prie, Madame, mes complimens les plus empressés à M. Thierry, et agréez l’hommage des sentimens respectueux que j’ai l’honneur de vous offrir.

« CHATEAUBRIAND. »


Chateaubriand, en route pour Lucerne, s’arrêta effectivement à Vesoul. Un brouillon de Souvenirs inédits d’Amédée Thierry, recueillis en 1858 par son fils, Gilbert Augustin-Thierry, alors adolescent, trace un amusant croquis de la visite précipitée du grand homme : « Lorsqu’il quitta Paris en 1832 pour se rendre en Suisse, M. de Chateaubriand passa par Vesoul. Sa voiture de poste le conduisit à l’auberge de la Madeleine, d’où il partit pour se rendre à la préfecture. Son intention était de voir au passage mon oncle Augustin qui lui avait écrit au sujet de son emprisonnement, et mon père, dont il avait parlé avec bienveillance dans la préface de ses Études historiques. M. de Chateaubriand demeura une demi-journée à la préfecture à causer fort gaiement. Il raconta sa captivité fort douce dans le salon de M. Gisquet, préfet de police, n’ayant pour geôlier que Mlle Gisquet, qui lui faisait de la musique du matin au soir. A l’entendre, c’était un emprisonnement assez doux : il est vrai qu’il n’en parle pas ainsi dans les Mémoires d’Outre-Tombe. Il ne traite pas M. Gisquet avec autant de bonne grâce que dans la conversation qu’il avait eue avec mon père.

« Il ne voulut rien prendre à la préfecture, malgré les instances qui lui furent faites, et lorsque, au bout de quelques