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que les Allemands ont fait en 1914, ou plutôt ce qu’ils ont été amenés à faire contrairement aux idées de leurs théoriciens, de von der Goltz notamment. — C’est d’ailleurs précisément ce que plusieurs grands capitaines ont réalisé parfois, notamment Napoléon lorsque, ayant amené ses troupes en Moravie (offensive stratégique), il s’arrête devant Austerlitz et attend d’être attaqué (défensive tactique), jusqu’au jour où, sortant de son immobilité, il attaque à son tour (offensive tactique).

Toutes ces idées ont été exposées par le colonel Mayer bien avant la guerre anglo-boer et la guerre russo-japonaise qui devaient en confirmer en plus d’un point l’exactitude. En somme, comme il l’a aperçu, c’est surtout la poudre sans fumée qui par un détour imprévu, a rendu une nouvelle fraîcheur aux conceptions de Vauban ; c’est elle qui, pour une bonne part et parallèlement, a fait vieillir au contraire la guerre de mouvemens, la guerre à découvert… du moins jusqu’ici, car nul ne sait comment finira la présente guerre.

Les publications postérieures du colonel Mayer sont peut-être moins frappantes par leur curieuse divination avant la lettre, puisque dans l’intervalle a eu lieu la guerre anglo-boer, si fertile en enseignemens. Elles n’en sont pas moins intéressantes, à divers égards ; c’est notamment dans un article paru en mai 1902, dans la Revue militaire suisse, que se trouve développée, pour la première fois à notre connaissance, l’idée, si remarquablement réalisée aujourd’hui, que les deux murailles humaines presque en contact et presque immobiles qui constituent les fronts d’armées en présence, vont se développer indéfiniment jusqu’à la mer, jusqu’à la frontière d’une nation neutre. « A partir de ce moment, ajoutait l’auteur, il n’y a, pour ainsi dire, pas de raison pour que la lutte finisse, du moins de ce côté. C’est ailleurs, c’est en dehors de ce champ de bataille (où on ne se bat pas ! ) qu’on cherchera la victoire. » Quelque opinion qu’on professe sur cette dernière assertion, cet article n’en est pas moins remarquable. Il a été attribué par erreur au colonel Feyler qui dirige la Revue militaire suisse : c’est le colonel Mayer qui en est l’auteur.


Ces idées si originales et pourtant si justement déduites et, pour une large part, si exactement vérifiées, ont inspiré manifestement en partie les prophéties, d’ailleurs fort remarquables, de Jean de Bloch et de Wells. Dans son ouvrage paru en 1898, l’écrivain russe fait des anticipations fort curieuses, relativement à ce qui était la future, à ce qui est l’actuelle guerre européenne. Pour ce qui est de ces prévisions