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l’affection respectueuse que les sujets de François-Joseph auraient vouée à leur souverain, pour ses vertus, ses mérites, et d’abord pour sa loyauté chevaleresque et pour sa paternelle bonté. « Paternelle » était l’épithète qui revenait incessamment dans les discours de l’Empereur allemand comme dans les propos des politiciens austro-hongrois. Il était pour ceux-ci « un maître paternel,  » comme pour celui-là « le paternel ami. » Nous-même, au retour d’un voyage d’études, nous nous faisions dans la Revue l’écho de ce sentiment étalé sans discrétion; il était difficile de se tromper ou d’être trompé plus complètement, nous l’avouons à présent en toute humilité. Si l’on y eût regardé mieux, on eût compris que le respect allait à la fonction bien plus qu’à la personne, dont les faiblesses alimentaient les commérages de la petite bourgeoisie viennoise, et que l’affection était faite surtout de commisération. A force de plaindre l’Empereur, chaque fois qu’une tragédie, plus terrible que la précédente, lui enlevait un parent ou une province, on avait fini par l’aimer. Et nous, d’après ce qu’on nous en avait montré, nous lui appliquions le mot du poète antique : « Hélas! hélas ! infortuné, c’est la seule parole que je puisse t’adresser, et ce sera la dernière! » Mais, quelque part qu’il faille faire à l’inconscience de la sénilité, François-Joseph, ne fût-ce que comme instrument, a depuis lors déchaîné sur l’Europe le fléau qui la couvre de feu et de sang; en face de la postérité qui le jugera et ne l’excusera pas, le mot « infortuné » ne peut plus être la seule ni la dernière parole.

Prince médiocre, à la fois indécis et têtu, orgueilleux et intéressé, chez qui la tradition, le protocole, la forme, cacha et sauva plus d’un demi-siècle l’insuffisance du fond ; momie d’une monarchie embaumée, comme en des bandelettes, dans sa tunique de drap blanc ; j’ai sous les yeux, tandis que je trace ces lignes, de grandes photographies qui le représentent suivant, à travers les rues de Vienne, la procession du Très-Saint-Sacrement, entouré d’archiducs avec la Toison d’Or, escorté de trabans et de pertuisaniers. Sur l’une d’elles, il est debout, les mains jointes, la tête baissée, et l’on ne retient, de cette image, outre la dévotion de l’altitude, que l’air d’accablement du corps qui se ratatine et se lasse : sur l’autre, il est agenouillé, le front dans les mains ; on aperçoit le dessus du crâne, allongé et étroit. François-Joseph apparaît là au vrai, dans la pompe d’une religion et d’une majesté tout extérieures, ombre vaine parmi des ombres, fantôme accompagné de spectres ; de pierre, avant que son effigie ait été sculptée sur sa tombe, dans la crypte des Capucins.

Viribus unitis, proclamait tranquillement sa devise, qui ne fut