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Petite, proprette, tranquille, dans un site riant, Kraliévo impressionne agréablement les nouveaux arrivés, heureux, après les puanteurs de Nich, de respirer cet air vivifiant ; quatre rues se rejoignent sur une place ronde : c’est le marché, le centre de la ville et c’est là qu’est le grand hôtel « de Paris. » Les habitans paraissent aisés, propriétaires fonciers de la région ou commerçans de Belgrade retirés dans ce petit endroit où la vie est facile. Leurs maisons permettent de loger assez confortablement les ministres étrangers, les administrations serbes. On déballe, on s’installe ; dans la rue, c’est un continuel va-et-vient de gens cherchant un logis ; tout Nich est à Kraliévo ; il fait beau ; cette première journée est charmante.

Mais la physionomie de la ville change vite ; les rues se sont remplies de blessés, de réfugiés, de soldats sans armes ; cela sent la retraite. La pluie s’est mise à tomber ; Kraliévo est lugubre. L’encombrement devient gênant ; partout des chars, des voitures, des camions automobiles ; on circule à grand’peine dans la boue au milieu de bandes de soldats qui se cherchent. Des convois de réfugiés se croisent en tous sens ; ici, une foule venant des villages frontières de la Bosnie et fuyant devant l’envahisseur autrichien ; là, juchés sur d’antiques chars à bœufs, des tsiganes, enfans de tout âge vêtus d’oripeaux éclatans, vieilles femmes édentées, la pipe à la bouche ; leur pittoresque théorie stationne, arrêtée par un étrange convoi de bateaux et de pontons que mènent des marins russes de la mission de Tchoupria ; l’officier, esclave de sa consigne, cherche à sauver cet encombrant matériel ; sur quelle route le verra-t-il s’enlizer ?

Les nouvelles des environs deviennent mauvaises ; Ougitzé est occupé ; on se bat à Gorni Milanovats ; les Autrichiens maîtres de Valiévo menacent Tchatchak : les Allemands approchent de Kragoujevats que le grand quartier général évacue pour se transporter à Krouchevats. De toutes parts la population reflue vers Kraliévo, prête à prendre, s’il le faut, la route qui, par la vallée de l’Ibar, mène à Mitrowitza, au chemin de fer. C’est la seule route qui va rester à la Serbie en panique : bourgeois des villes, paysans des villages, fuyant devant l’Allemand, l’Autrichien ou le Bulgare, missions sanitaires anglaises, russes, américaines, évacuées de leurs hôpitaux, infirmières