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Mitrowitza et de Novi-Bazar l’envahisseur musulman ou albanais pouvait prendre pour arriver au défilé de l’Ibar, à la porte de la Serbie du Sud-Ouest. Il y a trois ans à peine, le pont de l’Ibar franchi, on était en Turquie ; les victoires balkaniques ont réuni au royaume ces terres habilées par des Serbes, et Rachka, si longtemps poste frontière et douane, n’est plus maintenant qu’une étape sur la route serbe.

Ce n’est pas sans émotion que M. Pachitch et ses collègues s’arrêtent dans ce village. De l’ancien fief de Nemania, le père du roi Stéfane et du grand saint Sava, ils vont faire pour quelques jours la capitale de la Serbie. La Rascie, berceau des Serbes, est devenue leur refuge ; pourront-ils s’y maintenir jusqu’au jour où l’offensive espérée des Alliés sur Vélès et Uskub aura rétabli la situation ?

Vers huit heures du matin, après avoir franchi le grand pont sur l’Ibar, nous entrons dans les provinces nouvelles de la Serbie. Pendant longtemps les automobiles gravissent des pentes de montagne ; la vue s’étend au loin ; de distance en distance, de petites tours indiquent l’emplacement des postes de surveillance si longtemps tenus par les Turcs sur cette frontière. A nos pieds, dans la vallée profonde coule l’Ibar dont les eaux claires sont sans cesse accrues des ruisseaux et des torrens qui coupent le chemin en corniche que nous suivons. Commencée dès les premiers jours de l’occupation serbe dans un dessein stratégique, la route qui remplace l’ancienne chaussée turque qui passait par Novi-Bazar est à peine terminée ; en quelques endroits, des orages récens l’ont endommagée ; des escouades de prisonniers autrichiens sont occupés à la réparer.

A partir de Leposavitch, à vingt kilomètres environ après Rachka, les difficultés commencent. Des ponts manquent ; il faut passer à gué ; quelquefois on reste dans l’automobile ; mais souvent aussi on le quitte, et tandis qu’à grand’peine il franchit le courant, on passe en équilibre sur la planche étroite ou le tronc d’arbre jeté en travers du torrent.

En approchant de Mitrowitza, des tournans trop raides rendent la route dangereuse pour les automobiles et surtout pour les camions ; à deux reprises, l’un de ceux-ci culbute et, jetés pêle-mêle avec leurs bagages sur la pente d’une prairie, les voyageurs risquent de rouler jusque dans l’Ibar. Il n’y a heureusement qu’un blessé ; le domestique du ministre d’Italie a une