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Le 19 novembre vers midi, on apprend que tous ceux qui le matin, à la première heure, étaient partis pour Lioumkoula reviennent sur leurs pas. La nouvelle s’en répand aussitôt par la ville : la route a-t-elle été rendue infranchissable par des amoncellemens de neige ? est-elle coupée par des détachemens de soldats ou de comitadjis bulgares mêlés à des bandes albanaises ? Va-t-on voir se fermer l’unique issue vers laquelle tous tendaient depuis tant de jours ? Arrivée au fond de l’impasse, la foule se sent prise au piège ; comme une bête traquée, elle va, vient, anxieuse ; les visages marqués par la fatigue, les souffrances, la faim, sont terreux ; les hommes ont la teinte jaunâtre de leurs vêtemens boueux ; la foule, la rue, les gens, les choses ont la même couleur de débâcle.

Vers la fin de l’après-midi, M. Pachitch fait chercher les ministres alliés ; nous étions en train de terminer nos préparatifs de départ pour Monastir, comptant nous mettre le lendemain en route en caravane sous la protection d’un régiment de cavalerie, que le gouvernement avait fait venir à Prizrend et que nous voyons entrer en ville au moment où nous nous rendons à l’appel du président du Conseil.

M. Pachitch nous déclare que l’état-major général ne répond plus de la sécurité de notre voyage ; les Bulgares s’avancent de Tetovo ; ils ont dépassé Goztivar : ils pourront arriver avant nous à Dibra et nous couper la route de Monastir. D’accord avec l’état-major général, le Gouvernement estime que nous devons changer d’itinéraire, remonter vers le Nord et gagner par Diakovo et Ipek le Monténégro pour nous rendre a Scutari, d’où nous pourrons peut-être nous embarquer à Saint-Jean de Medua et aller en Italie attendre les événemens. Le ministre des Affaires étrangères adjoint, M. Jovan Jovanovitch, nous accompagnera et maintiendra la liaison entre les représentans des Puissances alliées et le Gouvernement. Quant au Gouvernement lui-même, il restera quelques jours encore à Prizrend ; si l’issue de la bataille qui se poursuit du côté de Ferizovitch et d’Uskub est favorable, le Gouvernement ira à Monastir où nous pourrons le rejoindre par Salonique ; si le sort est contraire aux armes serbes, le Gouvernement avec l’armée, avec le peuple, se lancera dans les montagnes de l’Albanie pour chercher un refuge à Durazzo ou à Scutari. « Mais, demandons-nous à M Pachitch, pourquoi ne pas nous laisser rester avec