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dans le couvent à la salle où les hôtes de distinction sont reçus. Nous sommes invités à y entrer avec lui.

Il y a une trentaine d’années que la Russie a obtenu du patriarche œcuménique de Constantinople la cession au Saint-Synode de l’antique monastère de Detchan, la présence de moines russes devant en assurer la protection ; grâce à eux en effet, Detchan a pu traverser sans difficultés les nombreuses crises politiques dont cette région de l’Albanie a été le théâtre au cours du dernier quart de siècle. Mais, maintenant, les moines ne sont pas sans appréhension sur l’avenir ; à la suite de la guerre balkanique, Detchan est devenu territoire monténégrin, et le roi Nicolas a décidé que le couvent devait rentrer en possession des terres qu’il possédait autrefois et que, au cours des siècles, les beys des villages voisins ont peu à peu usurpées. Déjà plusieurs domaines ont été repris aux Albanais, et l’archimandrite se demande s’il n’aura pas bientôt à ressentir les effets de leur animosité.

Tout en causant et en racontant l’histoire du sanctuaire si vénéré dans le monde orthodoxe, Mgr Varsanothi nous offre le thé de la bienvenue et l’eau-de-vie de prunes, la slivovitz, réputation du couvent ; successivement les ministres d’Angleterre et d’Italie nous rejoignent ; mais constamment l’archimandrite est dérangé ; il doit s’occuper de ses autres hôtes. La cour s’est en effet remplie de caravanes, de voitures, de chars ; des missions américaines, russes, anglaises, Croix-Rouges de toutes religions, des médecins militaires français avec leurs infirmières, viennent demander au couvent l’hospitalité pour la nuit. Jamais, aux grands jours des fêtes religieuses, Detchan n’a reçu autant de visiteurs ; il n’y a pas assez de lits. Dans les immenses salles destinées aux pèlerins, les moines apportent de la paille, du foin ; on s’y étend après avoir mangé la tchorba puisée au passage dans les grands chaudrons de cuivre.

Pour chacun des ministres, une chambre a été disposée, cellule très propre, dans laquelle un moine servit le diner.

Peu à peu le silence se fit dans le couvent ; la cour seule restait animée et bruyante ; dans un fouillis de chars, de chevaux, les gendarmes, les guides albanais, les pauvres réfugiés errans, sont pêle-mêle autour de grands feux dont l’éclat, qui s’ajoute à la lumière de la lune, crée des ombres fantastiques. Malgré la gelée, on ne pouvait se lasser de parcourir ces