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Je l’aimais d’un amour absolu, d’un amour qui les renfermait tous… »

Chateaubriand vint, passage Sainte-Marie, porter ses condoléances au veuf écrasé de chagrin, puis leurs relations s’espacèrent pour cesser bientôt complètement.

Augustin Thierry vit de plus en plus solitaire et retiré, rue du Mont-Parnasse, dans l’ermitage fleuri que lui a trouvé la princesse Belgiojoso, rivé par la paralysie dans sa voiture d’infirme ; les ombres du soir s’appesantissent sur les années finissantes de Chateaubriand.

Au lendemain des journées de juin 1848, sa mort affligea sincèrement celui qui tant de fois, avec une si belle ferveur, s’était proclamé son disciple. Il s’inclina sur cette tombe de tout son tendre respect, de la tristesse accrue de ses craintes pour les destinées du pays : « J’ai omis, mande-t-il en post-scriptum le 10 juillet, à la princesse Belgiojoso alors à Milan, de remplir un devoir de vénération, et -d’affection ; je ne vous ai point parlé de M. de Chateaubriand. Funérailles sur funérailles, ruines sur ruines pour la pauvre France, voilà tout ce qu’on peut dire maintenant d’une telle perte ! Mme Récamier n’a encore vu personne, Ampère vient de partir pour Saint-Malo où la sépulture aura lieu sur un rocher de granit baigné par la mer. »

Quelques mois plus tard, le duc de Noailles recueillait la succession académique de l’illustre disparu. Ce fut pour Augustin Thierry l’occasion d’un dernier hommage aux admirations de sa jeunesse.

Il écrivit au nouvel académicien :


« Monsieur le duc,

« Au fond de la triste retraite à laquelle je suis condamné, j’ai ressenti vivement un double regret : celui de n’avoir pu joindre les miens aux applaudissemens de votre nombreux et brillant auditoire et celui de n’avoir pu vous exprimer ma gratitude pour la mention si honorable que vous avez bien voulu faire de mon nom. Je suis loin de croire que je mérite tout ce qu’il y a dans ces paroles de trop flatteur pour moi, mais je vous en remercie comme d’un témoignage d’extrême bienveillance. Je ne puis vous dire avec quel charme j’ai lu votre