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déjà. Témoigne à ma chère Auguste tout le plaisir que j’ai eu à passer une journée avec elle. Vous allez revoir mes petites-filles. Je regrette bien de ne pas les embrasser aussi. Adieu, mon cher Eugène, le meilleur des fils ; tu connais toute ma tendresse pour toi.

« JOSEPHINE. »


(Aix)20 juillet (1810).

« M. de La Bédoyère[1]est venu prendre mes commissions pour toi, mon cher Eugène. Il est bien heureux d’aller te rejoindre, tandis que je reste si loin de toi et que j’ai joui un seul moment du bonheur de te voir. Au reste, il a été bien doux pour moi puisqu’il a fait diversion à tous mes chagrins. Je n’ai pas eu d’autre lettre de la Reine depuis celle du 18. Je l’attends ces jours-ci à Aix où elle vient prendre les eaux. On ne sait encore rien de positif sur le Roi[2] ; on présume qu’il a passé aux Colonies hollandaises. On parle beaucoup de cette disparition à Paris. L’Empereur doit être bien malheureux. On dit que la proclamation du Roi a été arrangée dans le Moniteur. Il se plaignait beaucoup de son frère et a même prononcé les mots de haine. Si j’apprends quelque chose de plus positif, je te le manderai. Je ne puis m’empêcher d’être inquiète de son sort. J’espère que tu as trouvé tes petites filles bien portantes. Donne-moi de leurs nouvelles, de celles d’Auguste et des tiennes. Je vous embrasse tous bien tendrement.

« JOSEPHINE.

« Envoie-moi de bons fromages. »


(21 juillet).

« Je t’ai écrit hier, mon cher Eugène, par le capitaine de tes gardes. Aujourd’hui Sanois[3]va rejoindre son régiment qui

  1. On sait que Charles-Angélique-François Huchet de La Bédoyère, né le 7 avril 1786, entré au service le 11 octobre 1806, comme gendarme d’ordonnance, aide de camp de Lannes, aide de camp d’Eugène et capitaine de ses gardes, fut condamné à mort lors du retour de Napoléon, et fusillé, le 19 août 1815.
  2. Parti de Haarlem, dans la nuit du 1er juillet 1810, le roi Louis, — le comte de Saint-Leu, — était arrivé Je 9 à Tœplitz. Il en donna avis le 16 à Madame mère. Le 20, l’Empereur était fixé sur le lieu de sa retraite.
  3. Gabriel Desvergers de Sanois, second fils de Jean-François-Joseph Desvergers de Sanois, frère de la mère de Joséphine et de Elisabeth de Hodebuurg, ne à Fort-de-France le 20 octobre 1792, page del/Empereur le 25 octobre 1808, premier page le 20 décembre 1809, lieutenant surnuméraire au 6e de hussards, le 20 juillet 1810 (en garnison à Milan), titulaire, le 8 janvier 1811, capitaine le 5 juin 1813. (En captivité en Russie.) Chef de bataillon honoraire pour être employé aux Colonies, le 4 mars 1815, titulaire, le 29 mai 1815, adjoint comme chef d’escadron àl’état-major général du maréchal Grouchy, le 9 juin 1815, lieutenant-colonel du régiment des milices de la Martinique, marié le 12 septembre 1818 à Marie-Anne-Camille-Joséphine de Perpigna ; grande fortune, trois habitations, cinq cents nègres, belle maison à Fort-de-France. A la suite des décrets du Gouvernement provisoire sur l’affranchissement des nègres, il fut entièrement ruiné et on brûla sa maison où trente-cinq blancs furent égorgés : lui-même n’échappa qu’en se sauvant dans une chaloupe ; il vint à Paris, où il reçut une pension de Napoléon III ; il est mort en 1870.