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Milan, ce 1er août (1812), à six heures du soir.

« Je t’ai écrit deux fois hier, mon cher Eugène ; aujourd’hui, je profite du départ de l’écuyer qui se rend près de toi. Auguste continue à être parfaitement bien. Elle a dormi toute cette nuit. La fièvre de lait ne paraît pas encore et tout annonce qu’elle ne sera pas forte. Ta fille est superbe et, si tu regrettais de n’avoir pas eu un fils, je t’assure que tu seras bien dédommagé quand tu la verras. Il est impossible de donner de plus belles espérances pour la figure et pour la force. Je t’ai dit qu’Auguste n’avait eu que quatre heures de grandes douleurs. La veille, elle avait ressenti les premières dans la journée, mais qui n’avaient pas été assez fortes pour l’empêcher de dîner avec moi et d’aller ensuite nous promener en calèche. A minuit, les douleurs ont augmenté et dès ce moment, je me suis établie près d’elle. J’envoyai chercher Locatelli[1]et Scarpa[2]. Ils croyaient que l’accouchement n’aurait pas lieu avant neuf heures du matin, mais tout à coup les souffrances augmentèrent et Auguste venait d’accoucher lorsque le duc de Lodi[3]et les personnes qui avaient été prévenues arrivèrent. Chère et bonne Auguste, comme elle t’aime ! Au milieu des plus fortes douleurs, elle ne cessait de l’appeler et de pleurer de ce que tu n’étais pas auprès d’elle. Quoique touchée moi-même de ses souffrances, j’ai fait de mon mieux pour la calmer. Enfin, entre quatre et cinq heures, ta fille est venue au monde. Il n’y a pas eu un seul moment de crainte, tout s’est passé aussi bien qu’on pouvait le désirer. A cinq heures, j’ai été me coucher un peu fatiguée, mais contente et heureuse. Ta fille a été ondoyée hier dans la soirée. Elle n’a pas la nourrice qu’on avait arrêtée ; lorsqu’on est allé la chercher, il y avait quatre jours qu’elle avait la fièvre. Heureusement qu’on en a trouvé une autre. Je l’ai vue, elle a l’air de la santé, les dents très belles, les médecins lui

  1. Giacomo Locatelli, chevalier de la Couronne de fer, premier médecin du roi d’Italie.
  2. Antonio Scarpa, l’un des chirurgiens les plus illustres des temps modernes (1747-1832), chirurgien consultant du roi d’Italie, membre de la Légion d’honneur. Étant partisan de la maison d’Autriche, il avait refusé de prêter serment à Napoléon et avait dû quitter sa chaire de Pavie : « Qu’importe le refus de serment, dit Napoléon. Le docteur Scarpa honore l’Université et mes États. »
  3. François-Louis-Joseph Melsi d’Eril, vice-président de la République italienne, chancelier garde des Sceaux du royaume d’Italie, duc de Lodi par décret impérial du 20 décembre 1807, avec 200 000 livres de rentes de dotation.