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VISITES AU FRONT
JUIN 1916

I
EN ARGONNE


I

Un grand train du matin à la gare de l’Est. Tous les voyageurs sont des militaires. Un train de professionnels, comme ceux qui, à Londres, de huit heures à onze heures du matin, amènent les hommes d’affaires à la City. Un train de province, et qui répond à un besoin spécial, comme jadis les rapides de la Côte d’Azur en hiver et de la côte normande en été. Simplement celui-ci relie Paris à l’une des régions où les hommes français ont aujourd’hui leurs affaires principales. Par la Champagne et puis l’Argonne, il s’en va jusqu’aux environs de Verdun. Il est plein d’officiers de tous grades et de toutes armes, — permissionnaires, la plupart, qui rejoignent. Mes deux compagnons et moi sommes les seuls à porter le triste habit civil. Dans les compartimens, dans les couloirs, le bleu horizon règne, la couleur de la France combattante, avec les figures de claire énergie, l’allure saine, virile et correcte, les gestes précis de tant d’hommes jeunes ou grisonnans, lieutenans, capitaines et colonels dont la poitrine porte les deux croix de l’honneur et de la guerre. Je sortais des rues et de la foule de Paris, d’un monde amorphe et mélangé, d’activités