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ceux des animaux des bois. Ils sont là, maintenant, tous pareils, comme les individus d’une même espèce, tout d’un coup apparus à la façon d’une harde qui ne se sait pas guettée. C’est un petit détachement venu à notre rencontre, et dont sort un colonel, pour nous accueillir et nous guider.


Les beaux hommes ! — et quel air, autour du jeune chef, de bonne humeur, de discipline et d’énergie ! Des hommes des bois, des Robin-Hoods qui vivent dans leurs huttes de branches et leurs terriers, si habitués depuis des mois, — et la plupart comptent déjà par années, — aux plis et replis de leur Argonne, aux labyrinthes de leurs tranchées, à la guerre si spéciale de forêt, qu’on ne veut plus les changer. Lui, le colonel est magnifique : grand, maigre, le poil flamboyant, des yeux perçans, un sourire aigu et perpétuel retroussant ses lèvres, la moustache en bataille. Le beau salut militaire ! il s’est détaché de sa troupe, marchant vers son général et puis soudain arrêté, la main au casque, retournée, les yeux dans les yeux du chef, avec cette expression qui semble dire : « Je suis à vous, me voici, sans peur, pour vous obéir et pour que vous me jugiez : — regardez en moi, dans mes yeux, jusqu’au fond ; vous n’y trouverez rien que de net, de militaire et de tendu vers le devoir. » D’une saccade énergique qui la lance en avant, la main se détache du casque, et le général avance la sienne. Le rite symbolique est achevé. Deux gentlemen causent : on nous présente. Tout de suite un intéressant rapport : des travailleurs boches ont été signalés, il y a deux heures, de tel poste avancé du secteur. Là-dessus, coup de téléphone à la batterie de… et quatre coups de 75. Résultat inconnu, mais au bout de cinq minutes, un second groupe d’hommes est apparu, venu sans doute pour reconnaître les dégâts. On distinguait deux officiers. Nouvelle bordée de 75. Dix minutes après, on voyait arriver des brancardiers. Félicitations au colonel de ce joli coup.

Ils vivent là, dans ce cantonnement de forêt. Au long d’une pente bien défilée, une série d’abris est creusée : romantiques logis d’ermites ou de trappeurs, comme on en rêve dans l’enfance, mi-huttes et mi-cavernes, les linteaux des portes faits de jeunes troncs ou de branches garnies de leur écorce et, souvent, de leurs feuilles. C’est la seconde ligne : ligne de repos,