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convaincus que « l’homme veut être heureux, et ne veut qu’être heureux, et ne peut ne vouloir pas l’être, » et comme eux, ils jugent cette aspiration légitime. Mais, au lieu de croire, avec Pascal et presque tous les contemporains de Pascal, que « le bonheur n’est ni hors de nous, ni dans nous, » qu’il est « en Dieu, et hors et dans nous, » ils s’imaginent que nous serions parfaitement heureux, si nous étions délivrés de toutes les contraintes que tant de siècles de « superstition » ont fait peser sur nous. N’ayant ni très longuement, ni très profondément étudié l’homme, ils croient à sa bonté native ; ils croient à la toute-puissance de la raison pour remédier aux imperfections provisoires qu’ils découvrent en lui ; ils croient en un mot à la disparition progressive du mal dans le monde. Illusion peut-être, mais illusion généreuse, au moins en son principe, puisqu’elle procède d’un excès de confiance dans la nature humaine. Ne croyant pas, ou ne croyant guère à la vie future, s’en désintéressant en tout cas, les écrivains d’alors reportent sur la vie présente toute leur sollicitude ; ils ne songent qu’à l’aménager pour le plus grand bonheur de l’humanité. Puisque l’homme, d’après eux, ne peut compter que sur lui-même pour améliorer sa destinée, qu’il mette toute son industrie à la rendre plus confortable et plus douce. Convaincus que l’homme n’existe et ne vaut que dans et par la société, et qu’en dehors d’elle, il n’y a pour lui ni salut, ni bonheur, les uns se font les apologistes passionnés de l’institution sociale ; ils en célèbrent sans relâche les bienfaits et la sainteté même ; ils en réclament le perfectionnement ; et ils verraient volontiers dans un corps de bonnes lois le souverain bien que puisse poursuivre l’humanité. Les autres, plus hardis, ou plus imprudens, bien loin d’avoir dans les règles ou les conventions sociales cette confiance ingénue, leur attribuent tous les maux qui désolent la vie humaine. La société pour eux, voilà l’ennemi ; ils rêvent d’un retour à un soi-disant état de nature ; et déjà ils s’en forgent une félicité

Qui les fait pleurer de tendresse.


Et ce sont là, assurément, des tendances fort différentes, fort différentes aussi de celles qui avaient cours au siècle précédent. Mais quoi ! Bossuet a beau se faire de l’homme et de la vie une conception qui ne ressemble guère à celle de Voltaire ou à celle de Rousseau : est-ce que tous trois, et tous les écrivains