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ne sont Français. Et Nietzsche ne l’est pas davantage. Rien n’est plus contraire à tout l’esprit français que la conception barbare et immorale du « surhomme. » Etre homme ; l’être aussi complètement, aussi profondément que possible ; ne point forcer, ne point guinder, ne point rabaisser non plus la nature humaine ; la respecter en soi et chez les autres ; en accepter les limites, en développer les puissances et en concilier les contrastes : tel est l’idéal que, de tout temps, la philosophie française a fait sien et a propagé par le monde. Il en est de plus farouchement orgueilleux : y en a-t-il de plus sage et de plus généreux[1] ?


Ce serait trop simplifier les choses que de définir la religion la philosophie des humbles. Mais il est certain que les humbles n’en ont pas d’autre, et que, faite pour les humbles, aussi bien que pour les « habiles, » la religion traduit d’une manière plus spontanée et plus complète que la philosophie pure les aspirations de tout un peuple. Cette loi qu’a si fortement établie Fustel de Coulanges se vérifie dans notre histoire. A travers bien des vicissitudes, le catholicisme est resté notre religion nationale. Et il faut croire qu’entre le catholicisme et le génie français, il y avait une sorte d’ « harmonie préétablie, » car, du jour où la Gaule romaine a été entièrement chrétienne, elle s’est montrée remarquablement fidèle à l’Eglise. Alors que les peuples barbares qui l’envahissaient, Burgondes ou Wisigoths, inclinaient à l’arianisme, elle sut se dérober au prestige de l’hérésie. Bien mieux, c’est autour de l’idée catholique que se constitua pour ainsi dire l’unité nationale. Si Clovis s’était fait arien, eût-il été aussi facilement accepté comme roi de France ? En tout cas, en se convertissant au catholicisme, il a eu un sûr pressentiment de nos destinées nationales, et, après lui, Charles-Martel et Charlemagne n’auraient pas réussi à fonder une dynastie nouvelle, s’ils n’avaient pas été avant tout les champions de la catholicité. Le rôle civilisateur et moralisateur de l’Église n’a été nulle part plus visible et plus universellement reconnu que dans la France du moyen âge ; et la France du moyen âge a rendu à son tour de si éclatans services au catholicisme qu’elle a mérité, on le sait, d’être appelée « la Fille ainée de

  1. Voyez, sur tout ceci, les belles pages de M. Henri Bergson, dans la Science française, tome I.