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l’Église, » et ses rois, les « Rois très chrétiens. » La France des Croisades, la France des cathédrales gothiques, la France de saint Louis a été, durant de longs siècles, la grande puissance catholique ; et au XVIe siècle, alors qu’une formidable révolution religieuse bouleversait l’Europe, c’est à l’interprétation traditionnelle du christianisme que s’est finalement ralliée la patrie de Calvin, et c’est cette interprétation qu’elle a imposée à la nouvelle lignée de ses rois. Enfin, de nos jours encore où les « religions d’autorité » sont si fortement battues en brèche, de bons juges estiment que nulle part, dans l’ordre tout au moins des idées et de la vie intérieure, le catholicisme n’est aussi vivace, aussi agissant que chez nous. C’est la France contemporaine qui fournit à l’Église le plus grand nombre de ses missionnaires, les deux tiers de leur contingent total ; et ce simple fait en dit plus que toutes les considérations abstraites.

Mais la France n’est pas la seule nation catholique, et l’Espagne et l’Italie, par exemple, pourraient, elles aussi, revendiquer ce titre. Le catholicisme français ne ressemble pourtant ni au catholicisme italien, ni au catholicisme espagnol. C’est assurément le même ensemble de dogmes ou de croyances ; mais chaque grand peuple y met sa marque propre, en développe tel aspect plutôt que tel autre, suivant les dispositions de son génie particulier. L’Espagne a surtout été séduite par le côté mystique du catholicisme, les Italiens par son côté décoratif et poétique. La France, elle, voit, dans la religion, quelque chose d’autre et de plus qu’ « un beau poème tenu pour vrai, » comme disait Taine, ou qu’un moyen d’exalter, de purifier, de « sublimer » l’âme individuelle. Non qu’elle méconnaisse la légitimité de ce double point de vue : elle est le pays de Pascal et de Chateaubriand. Mais, d’une manière générale, elle préfère le point de vue de Bossuet, qui ne laisse pas d’être un peu différent. Aux yeux de l’auteur des Variations, en effet, le catholicisme est avant tout un lien social. Non seulement, il unit entre eux les hommes d’une même génération en réglant leurs rapports mutuels, en leur prescrivant un même idéal et la communauté d’une même croyance ; mais encore il rattache le présent au passé et à l’avenir par son dogme de la communion des saints, et ainsi, cette assemblée des vivans et des morts qui s’appelle la patrie, au lieu d’être une simple entité verbale,