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autrefois, ces accens de Germanie dont Venise était un peu trop pleine. Sans doute, les gondoles se sont faites plus rares, encore qu’on en trouve bien une vingtaine rangées comme d’ordinaire au bout de la Piazzetta ; la vie de la cité est devenue en quelque manière plus intime, plus proprement vénitienne, et il semble qu’on s’y sente plus « entre soi » et plus proche aussi les uns des autres. Mais cette vie, au moins dans ses formes extérieures, est demeurée presque la même.

A peine remarque-t-on dans la foule un peu plus d’uniformes, uniformes de soldats, uniformes de marins surtout, — et parmi eux quelques uniformes de France, — particulièrement sur ce quai des Esclavons qui mène à l’arsenal. Sur le Grand Canal, sur la lagune, les bateaux à vapeur qui vont de l’arsenal à la gare, au de la place Saint-Marc au Lido, font, à peine plus espacé, leur service coutumier ; sur l’eau, où filent les mouches à vapeur légères, où glissent lentement les lourdes gabares pesamment chargées, on retrouve à certaines heures quelque chose de l’animation d’autrefois. Dans les calli étroites, c’est le mouvement coutumier, la même foule compacte set flâneuse, encombrant un peu les voies de communication principales. On sait quel est à Venise le charme de ces promenades à pied, de ces longues flâneries sans but, où l’on découvre, au tournant d’un pont, tel campo solitaire et délicieux, où l’on rencontre, au détour d’un canal, tel vieux palais teinté de rose, qui semble sortir d’un tableau de Gentile Bellini ou de Carpaccio, où se révèle enfin une Venise plus intime et que les étrangers ne connaissent point. Jamais ces promenades n’ont été plus exquises qu’aujourd’hui. A l’entrée du pont du Rialto, un marché en plein vent met la note éclatante de ses éventaires chargés de légumes et de fruits ; le long des calli, des étalages de fleurs odorantes mettent une grâce, une lumière, un sourire. Sur la place Saint-Marc où s’abat toujours l’essaim innombrable des pigeons familiers, les tables des cafés débordent, — peu garnies cependant, — en dehors des arcades des Procuraties, elles promeneurs ne manquent point, à l’heure où le soleil couchant teinte si joliment de lueurs roses la façade grise de Saint-Marc et la haute muraille du palais des Doges. Et sans doute, il y a, dit-on, des gens qui ont jugé plus prudent de quitter Venise : il se peut. Dans ’ensemble, comme le disait récemment un écrivain vénitien, « Venise demeure souriante