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Cette fois, il explore Chypre et la Syrie, pousse jusqu’à Palmyre, s’enfonce dans le Haouran, pour revenir à Jérusalem. En 1869, il se rendra une troisième fois en Palestine. — Qu’avait-il trouvé dans ces contrées mortes ? Qu’en rapportait-il ?

Une ample moisson de documens et de monumens. En vérité, il était né archéologue. Sur ce sol piétiné par les siècles, aucun vestige n’échappe à son regard. Le mètre ou le crayon en main, il fouille, découvre, mesure, déchiffre. Monnaies, stèles, tombeaux, fûts de colonnes ou volutes de chapiteaux, assises des temples ou des palais, tous ces débris oubliés par les siècles sortent peu à peu de l’ossuaire où ils dormaient leur paisible sommeil. A Chypre, notre savant relève les inscriptions phéniciennes ou grecques, les statues, les décombres qui lui permettront d’assigner à l’art primitif des Iles une origine asiatique. En Syrie, il s’improvise architecte et géomètre, et refait la géographie ancienne de la province. Au Haouran, il retrouvera, grâce aux textes gravés, toute une civilisation qui, des Séleucides, s’est épanouie jusqu’aux Arabes. A Jérusalem, il explore les fondemens du Temple, notant « pierre par pierre, jusqu’aux marques de l’outil qui a servi à les fouiller, jusqu’au nombre des dents dont elles portent l’empreinte. » Jugez à ces découvertes de quels trésors s’enrichit la science ! Le sphinx révèle son énigme ; et surtout la clef est trouvée qui rendra à la lumière quelques siècles d’histoire. On ne dira jamais assez ce que la philologie et l’épigraphie ont gagné à ces recherches. M. de Vogué y fut un maître. Nous lui devons la connaissance de l’araméen, cette langue populaire qui, du VIe siècle avant notre ère jusqu’à la conquête romaine, fut celle de l’Orient. Entré à trente-neuf ans à l’Institut, le jeune érudit avait clé aussitôt attaché à la commission du Corpus des inscriptions sémitiques. Après Renan, il la présida et en demeura, jusqu’à sa mort, l’infatigable inspirateur.

Cette contribution à l’orientalisme n’est pas la seule. Dans ce pèlerinage à travers des ruines, le savant n’oubliait ni ses croyances, ni son pays. Quelque goût qu’il eut pour les monumens des Phéniciens ou des Hébreux, combien plus chères lui étaient les reliques du passé chrétien ou des croisades ! Dès son premier voyage, il en avait cherché la trace. En 1860, paraît son livre sur les Églises de la Terre Sainte. Dans quelle mesure les Croisés ont-ils porté notre art en Orient ? Comment le style roman