Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 36.djvu/96

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
92
REVUE DES DEUX MONDES.

la statuette de Jeanne d’Arc, la mappemonde, les livres ; sur le tableau noir, ces mots écrits en lettres capitales : « 16 juillet. Les vacances ! Vive la France ! » La chaise de Reymond est dans l’embrasure d’où l’on voit le chemin qui monte vers la forêt, les clairières où s’arrondissent les buissons de genêts. Et voici que les objets viennent à votre rencontre. Les yeux qui vous observent reprennent leur regard de confiance. La vallée vous ressaisit.

— La joyeuse bande des mercredi et samedi, explique Mme  Bohler, sera bien réduite. André Berger et Émile Zumbach, très pris par leur école professionnelle, ne rentreront à la maison que le dimanche. En revanche, Charles Weiss se joindra à mes fils aussi souvent que le programme du collège le lui permettra. Encore un an et nous fermerons cette salle d’études ! René pourrait nous rester encore un peu de temps, mais nous ne voulons pas séparer les deux frères. Encore un an !

— Nous reviendrons, clame René, nous reviendrons avec l’armée française !

Et voici M. Bohler, avec sa figure si jeune et ses cheveux si blancs, son buste très droit, sa timidité de silencieux énergique, ses gestes brefs qui semblent dresser une barrière. Avec lui, on retrouve l’Alsace, la lutte, la souffrance cachée. Et il répète :

— Dans un an… dans un an… En attendant, travaillez bien, les garçons.. Les livres sont arrivés, monsieur Reymond. Demain, à huit heures, vous pouvez ouvrir l’usine.

On se quitte. Reymond suit la route, franchit le passage à bniveau, passe devant l’école où il aperçoit Kummel, qui se plie en une profonde révérence. Les oies cancanent près de la fontaine où trône l’homme ventru. Les gamins se poursuivent en traînant leurs sabots sur les pavés.

— Jacobine, le voilà !

Le vieux Schmoler est sur son seuil, la main tendue. Jacobine accourt. Et l’on retrouve la chambre aux persiennes baissées, les coquillages, le lit avec son ciel et ses tentures de cretonne. La cloche du diner. Les deux tables. On dit : « Mahlzeit !… » On dit : « Bonjour !… » Béat, la barbe sur l’estomac, Kraut contemple la veuve à l’opulente poitrine. Silencieux, immuables, les fonctionnaires mangent et boivent.