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épreuves truquées de son Portrait avec Saskia, sur lequel une substitution de personne fait intervenir sa mère. Mais ces épreuves ne sont-elles pas du XVIIIe siècle ? Qui donc apporterait la preuve de leur attribution à Rembrandt ? Seuls les marchands qui ont possédé les cuivres du maître avaient intérêt à multiplier, par ces artifices, des états obtenus à l’aide de ces sauces d’encre délavée, qui servent de trompe-l’œil sur certaines estampes anglaises modernes. Mais l’ensemble de l’œuvre gravé du maître est d’une probité qui proteste hautement contre ces truquages grossiers.


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Comment Rembrandt avait-il été séduit par cet art si particulier de l’eau-forte, et par quelles raisons fut-il conduit à lui consacrer le meilleur de sa vie, puis à lui réserver ses plus importantes compositions ?

La Hollande est un pays triste, sur lequel pèse l’obscurité de longs hivers brumeux. Comment lutter contre l’ennui de ce ciel gris qui bruine ? Comment vaincre l’angoisse des longues heures de nuit, brossées de vent, sous le parcimonieux luminaire, dont on disposait, au temps de Rembrandt, dans les familles les plus aisées ? On lisait ; on entretenait de copieuses correspondances ; puis on regardait, surtout, des estampes. L’image de petit format, se tenant bien dans la main, sous la chandelle, était longuement étudiée à la loupe, fouillée dans ses recoins à surprises, dans ces lointains aux nombreux plans grouillant de foules microscopiques, qui firent le succès des œuvres de Callot et de Stefano della Bella, puis passée de mains en mains et commentée, à la veillée, pour servir de thème à des réunions d’amis et de dilettantes. L’image est une baie ouverte sur d’autres faits, sur d’autres lieux ; c’est une route offerte à l’imagination, une source de rêves plus concrétisés que dans le livre, ou par le tableau qui tient plus de place et qu’on voit si mal aux flambeaux. Pour les illettrés, si nombreux à cette époque chez les enrichis du négoce, l’image formait, avec le prêche dominical, les deux seules échappées au train-train journalier de la vie domestique.

Dans ce pays, rendu à la liberté, qui s’enrichissait largement avec une rapidité déconcertante, le commerce des estampes prit soudain une ampleur que la spéculation étendit