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démarra, un cri prolongé de : « Vive la France ! » poussé par quelque deux cents éphèbes américains aux poitrines athlétiques, ébranla soudain la noble paix cambridgienne et, longtemps, retentit derrière moi, répercuté d’échos en échos entre les berges du Charles River. Que le professeur Munsterberg me pardonne, mais je ne pus me défendre d’un mouvement de satisfaction peu charitable, en songeant que ces acclamations, dont il entendait saluer, à deux pas de sa porte, le pays de son exécration, devaient être aussi désagréables pour ses oreilles qu’elles étaient douces pour les miennes.

Moins d’une semaine après, comme je roulais dans la direction de San Francisco, mes yeux, parcourant une gazette pro-germaine du Middle West, tombèrent sur un entrefilet intitulé : « Le scandale de Harvard. » Ma première pensée fut pour me demander si c’était par aventure à notre réunion du 6 mai qu’on faisait l’honneur d’appliquer ce terme sensationnel. Mais point. Il s’agissait d’un esclandre où elle n’avait rien à voir. « De mauvais plaisans, restés inconnus, avaient eu l’effronterie inqualifiable de profiter d’une nuit de claire lune pour badigeonner de bleu, de blanc et de rouge un des lions monumentaux qui gardent les abords du musée offert à l’Université par le Kaiser. » Cette farce de quartier Latin revêtait sous la plume de l’auteur de l’article les proportions d’un crime de lèse-majesté, capable d’amener les pires complications, et il dénonçait comme un danger public les ravages de la francophilie parmi les étudians des grandes écoles américaines.

Il n’avait pas tout à fait tort. Ces ravages sont indéniables. Le culte de la France a passé dans la plupart des universités d’outre-mer à l’état de dogme, et elles ne se contentent pas de le célébrer par de platoniques vivats ou en habillant aux couleurs françaises des lions made in Germany. Je ne crois pas qu’aucun de nos transatlantiques revienne de New-York sans y avoir embarqué quelque voiture d’ambulance automobile, représentant la contribution de tel ou tel collège américain au sublime labeur français. Et ces voitures ne voyagent pas seules : des équipes d’infirmiers volontaires les accompagnent, qui, pendant des mois, ont prélevé sur leur argent personnel de quoi couvrir les frais de l’expédition et, sur leurs études, le temps nécessaire pour s’y entraîner. Beaucoup, au départ, ne savent de notre langue que trois mots, les mêmes qui se répètent