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écoutant parler d’eux chez les Sioux et les Pieds-Noirs que j’ai compris pour la première fois la profondeur de la dette que, bien avant Washington, ce pays a contractée envers la France.

Or, l’histoire qu’il avait tant appelée de ses vœux avait été, dans l’intervalle, écrite de main de maître par un Américain, universitaire de marque dont je ne me suis pas permis de mentionner ci-dessus à quel point il nous était ami, parce que son livre tout entier l’atteste avec autant d’émotion que d’éloquence et que, ce livre, Les Français au cœur de l’Amérique, on serait impardonnable de l’ignorer en France depuis que la traduction si alerte de Mme Boutroux l’a fait nôtre par la langue comme il l’était par son contenu. Naturellement, un de mes vifs désirs, en me retrouvant à Cincinnati, fut de connaître l’appréciation de Farny sur l’admirable monument qui venait d’être ainsi élevé par la science et la piété de M. John Finley à la mémoire de ses héros de prédilection, les Champlain, les La Salle, les Joliet, les Père Marquette. Je me réjouissais de relire avec lui quelques-unes des plus belles pages du volume et, entre toutes, celle-ci qui fait, oserai-je dire, toucher du doigt la vitalité impérissable de la grande pulsation française au cœur de l’Amérique d’aujourd’hui, non moins que de l’Amérique d’autrefois : « Grâce à la bravoure et à la foi de ses enfans, la France a conquis la vallée du Mississipi sur un passé d’un million de siècles. Bien que, nominalement, elle n’ait plus aucun droit de propriété sur son territoire, elle conserve du moins le droit de percevoir encore une sorte d’arriéré de fermage, de partager les fruits des vertus humaines dont elle l’a jadis ensemencée. Ce droit-là, jamais le temps ne pourra ni le périmer, ni l’obscurcir : il ne saurait que l’accroître. »

Grosse fut ma déception, quand, au moment de me présenter chez le vieil artiste cincinnatien, j’appris que sa porte ne s’entr’ouvrait dorénavant que pour ses proches. Il n’était plus, parait-il, en état de recevoir. Sa santé, déjà fortement ébranlée, était encore allée en déclinant depuis la guerre qui l’avait placé dans la douloureuse alternative ou de rompre toutes attaches avec sa famille, engagée dans des alliances allemandes, ou de refréner devant elle les élans de ses ardentes sympathies françaises. Afin de ménager les seules affections qui lui restassent au crépuscule de ses jours, il avait accepté le second parti et s’était rencogné en lui-même.