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pour doter de ce monument la ville de New-York eut décidé d’en confier l’exécution à miss Hyatt, celle-ci fut fréquemment honorée dans son atelier des visites d’un expert d’art, de la maison Tiffany, qui, bien qu’Allemand de nom et de naissance, s’était fait inscrire pour une somme considérable sur la liste des premiers donateurs. Était-ce dans l’espoir d’acquérir à meilleur compte le droit de reproduction ? Toujours est-il qu’il suivait avec un intérêt marqué le progrès de l’œuvre. Là-dessus, patatras ! La guerre éclate ; et, du coup, renversement complet d’attitude chez le quidam. Il n’est plus question de patronner l’effigie de la Pucelle, mais, plutôt, si l’on en avait moyen, de la mettre en pièces. Ne le pouvant, on s’arrange pour nuire bassement à l’artiste ; on organise contre elle, à prix d’argent, une campagne souterraine, et l’on s’y prend de telle façon que, le jour de l’inauguration arrivé, pas un des grands quotidiens qui, l’avant-veille, portaient aux nues le talent de miss Hyatt ne consent à publier une image de sa Jeanne d’Arc, préparée tout exprès à leur intention par le photographe peut-être le plus réputé de New-York, miss Selby. Qu’on juge si de pareils procédés sont pour plaire dans un pays où la religion, pour ne pas dire la superstition de la femme est un article intangible du catéchisme social, que ne violerait pas même le dernier des rustres !


Non, ce n’est manifestement pas aux peintres ni aux sculpteurs américains qu’il faut demander une juste compréhension du « bienfait allemand. » Et c’est encore moins, si possible, aux architectes. Ah ! ces architectes de là-bas ! Ils sont de leur pays, certes : ils m’ont même toujours donné l’impression qu’ils en étaient plus franchement, plus allègrement et, si je puis dire, plus savoureusement que n’importe quelle autre catégorie de leurs concitoyens. Mais, grands dieux ! comme ils sont aussi du nôtre ! A maintes reprises, en France, j’ai entendu parler sans indulgence de l’école architecturale française ; on la disait timide, arriérée, routinière, immobilisée dans les antiques formules, incapable de faire effort pour inventer des thèmes nouveaux, accommodés aux exigences de la civilisation moderne. Qu’elle mérite ou non ces reproches, je n’ai jamais, quant à moi, rencontré un de ses adeptes d’outre-Atlantique qui ne la bénît de lui avoir, en quelques années de leçons, enseigné,