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trafiquant secret de l’alcool. Il distribue des feuilles ou des brochures que le plus lettré lira aux autres ; puis, le bon grain jeté, le bateau repart sur l’eau tranquille jusqu’à ce qu’un autre village lui fasse signe du steppe ou de derrière sa haie de bouleaux. »


IX. — LA LUTTE A PÉTROGRAD. — LES NARODNÉ-DOM

Tandis que la voiture m’emporte vers la Narodné-Dom de Pétrograd, mon souvenir évêque les Maisons du Peuple de Gœteborg et d’Helsingfors ; je revois les plans et photographies de ces magnifiques Maisons du Peuple américaines avec leurs salles de bains, leurs restaurans, leurs bibliothèques où travaillent coude à coude patrons et ouvriers. Que de fois, en revenant des Conférences populaires du quartier du Temple, n’avons-nous pas senti le regret amer de voir notre Paris devancé par les pays du Nord dans l’application de tant de théories sociales ! Les Maisons du Peuple sont un des remèdes les plus immédiats et les plus pratiques contre la passion de l’alcool. Tant que Paris n’aura pas les siennes, — comme les a chaque quartier de New-York, — le peuple ira chercher dans les cafés la satisfaction de ce besoin de réunion qui est, après tout, la marque de sa sociabilité. Les Narodné-Dom ne doivent pas être une création de la philanthropie, mais un établissement civique, fondé par l’Etat ou la Commune, comme l’Ecole ou l’Hôtel de Ville dont elles sont le complément naturel et indispensable. Pourvoir chaque ville de sa Maison du Peuple sera un de nos grands devoirs sociaux d’après la guerre.

La voiture a longé les quais et traversé la Neva. Sur l’autre rive, la forteresse Pétropawlowsk (Saint-Pierre et Saint-Paul), aujourd’hui prison, baigne dans l’eau du fleuve le pied de ses murs percés de meurtrières et élève haut dans le ciel la flèche dorée de son église, nécropole des Tsars. Les minarets bleus de la mosquée, — réduction de la célèbre mosquée de Samarcande, — trouent de leurs longs fûts la verdure du parc Alexandre, et voici la Narodné-Dom. Elle a fort grand air avec son théâtre, ses jardins, ses divertissemens publics. Mais je dois dire que le public qu’on y rencontre n’est pas celui que l’on y voudrait coudoyer.

— Il n’y a rien d’étonnant à cela, me dit M, Grégorieff,