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mon torse et ma tête, sans que les liens moraux qui m’unissaient à toi fussent rompus ou même entamés. C’est que le tréfonds de mon être est encore dépendant de toi ; c’est que ma conscience la plus souterraine reçoit encore — sais-je moi-même par quel soupirail ? — un peu de ta lumière ; c’est qu’on ne rompt jamais entièrement avec son passé, quand ce passé a fait partie d’une âme profonde et recueillie. » Louvain, « pleine de calme, de bienveillance et de sagesse, » et qui sut montrer, à toute une jeunesse les chemins « où s’engagent ceux qui baissent la trace de leurs pas dans l’histoire de leur temps !… » Verhaeren, à Louvain, sembla peut-être juriste ; on le crut bientôt avocat. Mais, à Louvain, dans ces années adolescentes où l’on ne sait pas ce qu’on devient à coup sûr, il élabore, et ne le sait pas, sa poésie.

Il va écrire les Flamandes et les Moines. Les Flamandes sont de 1883. La Belgique, à cette époque, est sur le point de créer toute sa littérature nouvelle, abondante, originale, qu’ont illustrée les noms de Verhaeren et de Maeterlinck, et, précédemment, ceux de Van Lerberghe et de Rodenbach. Ceux-là et les autres, les plus ardens et les meilleurs, sont venus de Louvain, qui aurait pu leur donner seulement ses disciplines et qui favorisa leur génie, tout différent qui fût de ses tendances. Verhaeren, dans sa monographie attrayante du peintre James Ensor, note l’entrain de cette renaissance, ou naissance, littéraire et artistique. Peintres et poètes sont d’accord : l’art antérieur, non pas l’art ancien, mais l’art qui continue, ils le méprisent ; la littérature contemporaine, en leur pays, ils la dénigrent comme littérature de parlementaires, disaient-ils, et de journalistes. Ils fomentent, avec un zèle très fougueux, une révolution… « Il y eut comme un tremblement des cerveaux… La belle mêlée de colères et de sarcasmes ! Les lourdes attaques et les folles dépenses ! Les fiers éclairs dont on foudroyait les esthétiques vieillies et les règles désuètes ! On s’exposait avec joie, on dardait son audace partout et l’on se reprochait sans cesse de n’avoir pas été assez violemment téméraire. Vraiment, la vie passionnée était belle, en ce temps-là ! » En ce temps-là, il y avait aussi chez nous une révolte poétique : les Symbolistes préludaient alors, et quelques-uns si follement qu’ils ont failli déconsidérer une intelligente et charmante idée de la poésie : quelques-uns réussirent des poèmes parfaits d’une fraîche et durable beauté. Nos Symbolistes et les poètes de Louvain voisinèrent ; nos Symbolistes ont eu de l’influence, et marquée, sur leurs amis belges. Mais ceux-ci l’ont bien accueillie et bien supportée. Elle n’a pas