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— Ah ! le lazaret de Vido ! dit Mme M… Il fallait voir ça, pour comprendre ce que c’est que la souffrance. Par comparaison, un hôpital de blessés est un lieu extrêmement joli et gai. Les médecins faisaient ce qu’ils pouvaient, et les infirmiers de même, — mais quelle besogne ! Les Serbes arrivaient dans leurs loques grouillantes de vermine. Les plus solides étaient épouillés, rasés, lavés, habillés, et on leur donnait à manger, pas beaucoup à la fois. Mais il y en avait des tas qui mouraient, parmi les plus jeunes, les plus faibles. Tous les jours, un petit bateau, le Saint-François-d’Assise, allait immerger ces pauvres gens, trop nombreux pour qu’on pût les enterrer, et les mate-lois, chargés de ce service, succombaient presque, — vous comprenez, quoique des matelots, ça ne soit pas délicat comme des dames !

« Quand nous arrivions, sur le S…, nous sentions, de loin, l’odeur des petits bâtimens qui nous amenaient les Serbes ; une odeur de décomposition, de guenilles, de maladie, une odeur qui pénétrait tout, qui nous poursuivait partout, que nous ne pourrons jamais oublier. Nos Serbes n’avaient pas toujours subi l’épouillage et la lessive. Quelquefois, pour gagner du temps, — et le temps, c’est de la vie ! — on nous les envoyait tels quels, dans leurs habits de la retraite… Vous ne me croirez pas ! A la vue de notre bateau, les mourans se ranimaient. Ils disaient : « France ! France !… » et j’en ai vu qui grimpaient à quatre pattes l’escalier de la coupée et qui mouraient là, sur le pont…

« Mais ils mouraient plus contens. Les survivans réclamaient à manger. On commençait par les déshabiller et les nettoyer. C’était nous, les infirmiers et les infirmières, qui faisions cette besogne-là… Madame, il y en avait, de ces pauvres gens, qui, sûrement, ne s’étaient pas déshabillés depuis des mois ! Leurs effets étaient collés à leur peau et leur peau à leurs os. Avec des ciseaux, je coupais, bien doucement, leurs manches, et il en sortait toute une ménagerie… Des puces, des punaises, des mille-pattes ! Quant aux poux, il y en avait tant et tant que le pont en était blanc. C’est une chose vraie, et qu’il est difficile de croire ! Oui, le grand pont du S… était blanc de poux. Et quand les guenilles étaient en un gros tas, on les voyait bouger.

« . Vous demandez si cela ne me dégoûtait pas ? On n’a