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Pauvres soldats de la Grèce neutre, mal nourris, mal équipés, mal payés, et dont les familles, ignorant les bienfaits de l’allocation, crèvent de faim dans leurs villages de la montagne ou des îles ! On les a mobilisés pour combattre les Bulgares. Ils n’ont pas combattu les Bulgares et sont restés mobilisés. Pourquoi ?… Pour qui ?… Serait-ce pour le roi de Prusse ?


J’ai pensé tout haut, et l’un des amis qui m’accompagne répond, sans rire :

— Vous l’avez dit : pour le roi de Prusse. Et il ajoute :

— Vous arrivez de France. Vous croyez encore à l’amitié de la Grèce, malgré l’évidente inimitié du gouvernement et de la Couronne. Vous pensez : « Il y a la nation et il y a le Roi : ce n’est pas la même chose. » Ici, l’on entend des vénizélistes sincères vous dire : « Il y a le Roi et il y a les ministres du Roi : ce n’est pas la même chose. » Comme si les nations n’étaient pas responsables du roi qu’elles supportent, et le roi des ministres qu’il a choisis ! Et cela m’amène à vous dire que, par intérêt, par lâcheté ou par ignorance, toute la Grèce officielle, et une grande partie du peuple abusé par la propagande allemande, est contre nous.

« La propagande allemande ! Elle a été, dans ce pays que nous aimions, que nous aimons encore avec une espèce de tendresse blessée, elle a été mille fois plus habile, plus étendue, plus efficace que vous ne pouvez l’imaginer. Je parle sans parti pris, car j’ai été toujours, et vous le savez, un ami de la Grèce où j’ai voyagé, où j’ai encore de bons camarades, que je crois connaître assez bien et bien comprendre. Si je vous affirme que nous sommes ici en pays hostile, en pays ennemi, vous penserez, n’est-ce pas, que ma conviction s’est faite contre le vœu de mon cœur, par la force des choses et par une expérience personnelle de chaque jour.

« Les Allemands ont acheté tout ce qui était à vendre : politiciens, journalistes, fonctionnaires. Ils ont circonvenu l’armée, avec la complicité de l’Etat-major ; ils tiennent le Roi ; ils exploitent le loyalisme naïf du peuple ; ils tirent parti de nos erreurs, de nos faiblesses, de nos illusions, et même de notre générosité. Chaque jour, en effet, dans les journaux payés par