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nous, écrivait Voltaire, je pense qu’il ne lit guère et qu’il doit son goût à la manière dont il a plu à Dieu de le former[1]. » Voltaire avait raison ; mais les succès du fermier général dans les poésies de salon n’en sont pas moins incontestables. Nul ne tournait plus vite, plus agréablement, un quatrain, un couplet, au besoin une romance. Certaines de ses compositions légères, Charmantes prairies et Ma tendre musette, connurent une vogue réelle. Il ne se bornait pas à en écrire les paroles ; il en composait la musique et les chantait lui-même, s’accompagnant de la vielle ou de la guitare[2].

Plus tard, il prétendra plus haut, il se lancera dans le roman et publiera Daïra, « une turquerie dans le goût du XVIIIe siècle[3] » que Voltaire louera en ces termes, dans une lettre à l’auteur : « J’ai dévoré votre Daïra ; je vais la faire lire à Mlle Corneille ; je ne peux mieux commencer son éducation… Vous devez avoir reçu autant de complimens que vous avez donné de Daïra. Continuez à cultiver cette aimable partie de la littérature. Vous serez connu par de beaux ouvrages et par de belles actions. » Il est vrai que, dix jours plus tard, le même Voltaire, s’adressant à Mme de Fontaine, écrira de ce même roman : « C’est, je vous jure, un des plus absurdes ouvrages qu’on ait jamais écrits. Pour peu qu’il en fasse encore un dans ce goût, il sera de l’Académie[4] ! »

A l’heure où il entre dans cette histoire, La Pouplinière passait pour un grand conquérant, un redoutable séducteur. Et cette réputation le suivra jusqu’au seuil de la véritable vieillesse. Dans sa soixante-septième année, il tournera la tête à la fillette précoce qu’était Félicité du Crest, la future Mme de Genlis. « Il disait souvent, raconte-t-elle[5], en me regardant et en poussant un profond soupir : Quel dommage qu’elle n’ait que treize ans ! Je compris fort bien, à la fin, ce mot si souvent répété, et je fus fâchée moi-même de n’avoir pas trois ou quatre ans de plus ; car je l’admirais tant que j’aurais été charmée de l’épouser. C’est le seul vieillard qui m’ait inspiré cette idée. » Elle redira plus tard : « J’étais décidée à n’épouser qu’un

  1. Lettre à Thiériot, du 29 novembre 1738.
  2. Souvenirs d’un octogénaire, cités par Cucuel, loc. cit.
  3. Articles de M. André Hallays sur M. de La Pouplinière, dans le Journal des Débats.
  4. Lettres des 15 et 27 février 1731.
  5. Mémoires, tome I.