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militaire, et en temps de guerre, n’absorbe jamais tout entiers. Il a beau être le plus consciencieux, le plus actif, le plus scrupuleux des officiers ; il a beau se laisser prendre de toute son âme par la grande aventure où son pays se trouve engagé ; il n’abdique pas ses préoccupations et ses goûts d’autrefois ; il met à garder entière toute sa liberté d’esprit une sorte de point d’honneur, et il estime que cela aussi est « une forme du courage. » Il reste donc écrivain, et même professeur. Ses thèses étaient très avancées : il ne veut pas mourir sans les avoir achevées, et il prendra sur ses rares loisirs, sur ses veilles, pour les terminer, malgré torpilles et obus, « au nez des Boches, » avec cette bravoure un peu gamine, qui est si joliment française. Enfin, il trouve le moyen de lire livres et articles, et d’écrire aux siens et à ses amis d’abondantes lettres, très spontanées et très littéraires. Lettres de guerre, bien entendu, et où les mille détails de la vie des tranchées sont notés avec une bien vivante exactitude ; mais aussi lettres d’amitié et de familiale tendresse ; lettres de condoléances, dont quelques-unes, — voyez celles qu’il a écrites sous l’impression de la mort de Joseph Ollé-Laprune, — sont de purs chefs-d’œuvre, et lettres de direction ; lettres enfin d’observation pittoresque, dont l’une au moins va devenir fameuse : celle où il décrit à sa femme les sinistres tranchées du bois de Mortmare, où il devait, bientôt, trouver la mort. Par la variété du ton, par la justesse alerte de l’expression, ces pages sont véritablement d’un rare écrivain.

Mais, plus encore qu’un très souple talent littéraire, ce que révèlent ces lettres du front, c’est une âme étonnamment riche et profonde, d’une très large et très généreuse humanité. On y voit se refléter, comme dans un pur miroir, tous les sentimens qui animent et distinguent la jeunesse française d’aujourd’hui, cette admirable jeunesse de la guerre qui, tous les jours, se sacrifie pour nous sur les champs de bataille. Pour lui emprunter une jolie formule, je dirais volontiers de Maurice Masson que personne n’a fait vibrer plus fortement, ni sur une plus large étendue, le clavier des sentimens et des idées où communient nos soldats de la grande guerre.

Comme eux tous d’abord, il aime la France d’un immense amour, et cette France unanime de l’ « union sacrée, » cette « troisième France » lui apparaît si belle, si grande, si digne d’admiration et de tendresse, qu’elle lui semble mériter tous les