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elles ne nous quittent pas. Elles sont là aujourd’hui, demain, toujours, luttant avec leurs camarades, habitant en eux, renouvelant à toute minute leur énergie, rafraîchissant leur espérance. Même pour ma pauvre petite existence à moi, ma stérile existence de femme qui n’a que son cœur à donner, elles sont une perpétuelle inspiration, un encouragement incessant à poursuivre mon humble effort pour la grande cause. Je puise dans la pensée de leur héroïque trépas la toute-puissance de la foi qui, elle, ne meurt jamais. »

Et le mieux serait sans doute de clore sur cette page émouvante où, comme dirait M. John Finley, c’est « le cœur » même « de l’Amérique » qui palpite à nu, si, dans le concert dont j’ai tenté de rassembler et de fixer les sons, il ne manquait une note, celle, non plus de l’Amérique cultivée, éclairée, pleinement consciente, mais de l’Amérique instinctive, en quelque sorte, de l’Amérique prolétarienne, enfermée dans les durs ghettos du labeur forcé qui ne lui laisse le temps ni de la pensée, ni du rêve. Je souhaite de finir par elle. C’était à Nashville, dans le Tennessee, un des États les moins avancés du chevaleresque Sud. J’avais affaire dans une banque. L’employé à qui l’on m’adressa, un petit homme grisonnant, de mine proprette, mais étriquée, se tenait comme encagé derrière une étroite grille de cuivre. A ma prononciation, il commença par s’étonner, puis, la figure illuminée tout d’un coup :

— Vous n’êtes pas Allemand… Seriez-vous Français ?… Français, oh !… Et vous rentrez en France ?… Ah ! monsieur, je ne suis qu’un clerc de banque, je n’ai jamais mis les pieds hors de mon pays, je ne verrai probablement jamais le vôtre… Je connais pourtant, comme si j’y avais été, vos Champs-Elysées… Eh bien ! lorsque vos troupes y défileront, bientôt, après la victoire, voulez-vous, monsieur, vous souvenir du clerc de banque de Nashville, et les saluer pour lui, et leur crier par trois fois en son nom : Vive la France ?…

Vive la France ! Le refrain n’est guère varié. Si l’on estimait qu’il revient trop souvent au cours de ces impressions, ce n’est pas à moi qu’il faudrait s’en prendre, mais aux Américains.


ANATOLE LE BRAZ.