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Oui, l’aveugle qui joue au coin d’un piédestal
Peut retrouver le son du violon natal ;
L’orgue de Barbarie a beau vouloir le moudre,
Le chant mystérieux contient toujours la foudre !
Et pour que, tout d’un coup, rentrant dans son destin,
Celle qui vient chanter à la fin du festin
Fasse, d’un seul coup d’aile abattant les pilastres,
A quelques lampions succéder tous les astres,
Pour que, prête à voler sans qu’on sache jusqu’où,
Folle, avec tous ces cris qui te gonflent le cou,
Tu resurgisses, Marseillaise ! et tu remettes
Un dieu dans le buisson ardent des baïonnettes
Et la rage de vaincre au cœur irrésolu,
Il ne faudrait… il ne faudra…

Il n’a fallu
Qu’un soir de samedi, qu’un matin de dimanche,
Et deux petits drapeaux sur une affiche blanche.
 
Et le chant, formidable alea jacta est,
Sort de tous les wagons de la Gare de l’Est.
L’immense Marseillaise est vers le nord montée.
Un million cinq cent mille hommes l’ont chantée !
Mais soudain… Se peut-il que sans s’être battus
Un million cinq cent mille hommes se soient tus ?
Non. La masse ne rompt, — haletante, — aguerrie,
Que pour choisir le bois, la vigne, la prairie
Où l’Hymne doit reprendre avec le feu, — ne rompt,
Le doigt sur la gâchette et la lèvre au clairon,
Qu’à pas lents, indignes, retenus et solides.

Un jour, Napoléon s’éveille aux Invalides,
Et, rouvrant dans sa nuit cet œil calme qui rend
Le marbre du tombeau lui-même transparent,
Voit sur le sarcophage une Forme accoudée.