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et Bixschoote. Des coups de fusil partent d’une tranchée à une centaine de mètres à l’Est. Le lieutenant se défile dans un fossé avec ses hommes, puis il observe : à sa gauche, toujours silence complet ; aucun des nôtres n’est en vue. Mais, plus en arrière, dans un pré entouré de peupliers, des formes grises vont et viennent. Nul doute, ce sont des Allemands. Le lieutenant fait aussitôt converser sa section, de façon à prendre la position à revers, et il prévient qu’à son signal on soit prêt « à abattre chacun son Boche, » puis à se lancer à la baïonnette. Les Allemands sont dans un redan relié à l’arrière par un boyau, — celui justement que nous avons visité un quart d’heure plus tôt et que nous tenons. Ils ne semblent pas se rendre compte qu’ils sont cernés. Mais, au moment où le lieutenant donne son signal, des cris de charge partent de l’autre côté de l’ouvrage… »

C’est le quartier-maître Dréan, de la compagnie Deleuze, qui, avec les fusiliers Cautin, Baudry et Denier[1], vient de se jeter dans le redan, d’y capturer deux mitrailleuses et une dizaine de prisonniers. Ceux-ci étaient d’ailleurs des Alsaciens-Lorrains qui ne demandaient qu’à se rendre. Deleuze, parti après la compagnie Benoit, avait franchi la tranchée emportée par cette compagnie et laissée à la garde d’une section sous les ordres de l’officier des équipages Souben ; ramassant la section, il avait poussé en avant et était arrivé sur la seconde tranchée en même temps que Lartigue, qui la contournait par la droite, et Souben, qui l’abordait de face. Dans le fond du redan, quelques hommes tenaient encore autour d’un oberleutnant, colosse roux à lunettes d’or, qu’on disait être un instituteur prussien, et qui luttait désespérément ; un de nos gradés, le maître Donval, l’abattit d’une balle dans la tête. Le reste se rendit. Grâce à l’heureux hasard qui avait fait concorder les mouvemens de la 2e et de la 10e compagnie, le redan, ses mitrailleuses et une section d’une trentaine d’hommes « étaient entre nos mains, presque sans perte de notre côté. » Les marins, « dans un enthousiasme indescriptible, » dansaient, agitaient leurs bonnets, « et, pendant quelques minutes, dit le témoin précédemment cité, il fut difficile de les empêcher de se tenir debout sur le parapet. »

  1. Cités tous les quatre à l’ordre de l’armée pour ce fait d’armes.