Page:Revue des Deux Mondes - 1917 - tome 37.djvu/570

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

enfans, allons les venger ! » Que se passa-t-il ensuite ? Un de ses hommes de liaison, le fusilier Le Huérou, qu’il avait envoyé porter un ordre au capitaine de Malherbe, en se retournant, le vit à 30 ou 40 mètres qui s’affaissait. Il voulut s’approcher « pour lui faire un pansement, » mais la fusillade redoublait. Le commandant d’ailleurs, plus soucieux de la vie de ses hommes que de la sienne, lui faisait signe de continuer son chemin. Bien que frappé à la tête, il se releva au bout d’une minute, le visage en sang, fit quatre ou cinq pas, puis tomba définitivement, atteint, croit-on, d’une nouvelle blessure au côté. Son élan l’avait emporté très loin de ses hommes, jusqu’à la tranchée ennemie. Il y touchait : la palme de gloire qu’il voulait saisir n’ombragera-t-elle qu’un tombeau ? Un mystère couvre sa fin. Son corps ne fut pas retrouvé. Blessé grièvement, fait prisonnier peut-être et soigné dans quelque ambulance de cette inaccessible Belgique qui étouffe depuis deux ans sous le bâillon, rien n’a transpiré de son tragique secret. Vainement sa sœur a-t-elle voulu rompre cette consigne de silence. Le commandant Geynet, quelques années plus tôt, avait dirigé les opérations de sauvetage d’un navire allemand, l’Amazone, et reçu à cette occasion du Kaiser l’ordre de la Couronne royale de 3e classe. Il était alors, à Brest, lieutenant de vaisseau. Au nom des femmes, des mères, des épouses allemandes dont il avait contribué à préserver les foyers, la sœur du commandant, par l’intermédiaire de l’ambassade d’Espagne, supplia l’Empereur de lui donner au moins une certitude sur la fin de son frère. Le placet lui revint avec un timbrage en rouge du bureau central des renseignemens et cette simple annotation au crayon : « La recherche n’a pas été annoncée (sic) jusqu’à aujourd’hui. Signé : J.-A. Grafotunverine-Rittmeisler… »

Ainsi notre offensive n’avait que partiellement réussi : le demi-échec de notre centre, l’échec total de notre gauche tendaient même à compromettre, si l’on n’avisait rapidement, les résultats acquis par les compagnies Benoît et Deleuze. En ces conjonctures, le colonel Paillet sut prendre à temps les décisions nécessaires : faisant appel à ses réserves et remplaçant la 3e compagnie du 1er régiment, décimée, par la 12e du 2e régiment (capitaine Reymond)[1], il lui ordonna de se

  1. Certains rapports disent la 9e du 2e régiment. C’est une erreur.