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l’amiral avait dû prescrire de faire emporter par les unités qui allaient aux tranchées leurs deux jours de vivres « pour éviter à ces unités les fatigues inhérentes à leur ravitaillement pendant la nuit. »

Entre temps, nous procédions à la réorganisation de nouvelles lignes de défense à l’Ouest du Kemmelbeke, les anciennes ayant été quelque peu bouleversées par le « marmitage ; » le génie procédait à des travaux analogues à l’Est des bois de Bosch-Hoek. Six pièces de 120 long étaient venues s’installer le 24, derrière Cockhuit-Kabaret, pour battre Bixschoote et la Grande-Redoute, mais elles nous quittaient presque aussitôt, appelées ailleurs, et l’on se contentait d’envoyer des obus explosifs de 75 sur les tranchées allemandes, après un simulacre d’attaque par les marins. « Il y aura dans la nuit, écrivait le 24 un officier : canon, 3 minutes ; fusillade, 3 minutes ; canon, 3 minutes. Les Allemands sortent : on les fusille. Personne ne bouge, et le canon achève. C’est simple, — si on réussit. » Cela réussit assez bien, de l’aveu même du sceptique annotateur, qui, le lendemain, parlant de cette « attaque pour rire, » devait reconnaître que nos adversaires au moins n’avaient pas dû goûter la plaisanterie. « On les voyait sauter en l’air, disaient les assis-tans, sous la poudre du 75[1]. »

Hélas ! ces simulacres d’attaque, c’est tout ce dont nous étions capables pour le moment. Le chiffre des exempts de service atteignait un « total si impressionnant » le 26 décembre, qu’afin de désencombrer un peu les ambulances et les infirmeries régimentaires de la brigade, l’amiral décida de conserver le dépôt des éclopés de Saint-Pol, dont la suppression était prévue pour le 28.

Noël se passa au milieu de ces tristesses. Rien autour de nous ne rappelait la douce nuit chère aux chrétiens. Seule, la température s’était conformée à la tradition : le baromètre marquait — 8o . Il avait légèrement neigé la veille ; la nuit « était lumineuse et claire et la plaine toute blanche[2], » mais cette blancheur, aussi loin que la vue s’étendait, était « semée de points noirs, cadavres français, — ou gris, cadavres boches[3]. » Lugubre décor pour un réveillon ! Et cependant il y avait comme une détente dans les âmes. Puis, des cadeaux étaient

  1. Carnet de route du Dr T…
  2. Maurice Faivre, lettre du 31 décembre 1914.
  3. Boissat-Mazerat, lettre du 27 décembre 1914.