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devoir et le but sont de former l’esprit public, que Lindet, évêque d’Evreux, vient de contracter mariage. » On connut le lendemain les détails. Le prélat s’était marié à la mairie. Après quoi il s’était transporté à l’église Sainte-Marguerite. Là, le même abbé Claude Bernard, qui avait naguère marié Aubert et s’était depuis marié lui-même, lui avait donné la bénédiction nuptiale. Lindet notifia l’événement, à la municipalité de Bernay par une lettre, à ses diocésains par une manière de mandement. Aux gens de Bernay il disait : « J’ai pratiqué toutes les vertus civiques et religieuses. Il me restait un grand exemple à donner, c’était de m’élever au-dessus des préjugés superstitieux. Je l’ai fait, et j’ai choisi une compagne avec laquelle je donnerai l’exemple des vertus domestiques. » Quant au mandement, l’évêque y invoquait les périls de la religion : « Il faut, ajoutait-il, sauver ce que le vaisseau de l’Eglise contient de plus précieux et jeter le reste à la mer ; il faut dégager la doctrine céleste de Jésus-Christ des opinions théologiques qui ne servent qu’à l’obscurcir. » Contre la nouveauté inouïe Lecoz, Philbert, d’autres encore protestèrent, et avec eux Fauchet, toujours furibond, mais désormais pour l’orthodoxie. Cependant les impies s’égayaient fort, jugeant qu’à travers les scènes sombres de la Révolution le mariage des prêtres fournirait. quelques intermèdes savoureux et piquans : « Les préjugés, disait Manuel dans la Chronique de Paris, tombent comme des capucins de cartes. »

Lindet avait violemment brisé le joug. Quelques mois plus tard, Gobel, évêque de Paris, stupéfia par sa faiblesse autant que l’évêque de l’Eure par son éclatante rupture. Le vicaire de Sainte-Marguerite, Aubert, déjà nommé, fut l’occasion de l’incident. Cet homme était devenu doublement fameux par son mariage et par sa lutte avec son curé. C’était d’ailleurs, à ce qu’on assure, un prêtre de mœurs tarées et d’honneur très entamé. Malgré ces taches, — et peut-être à cause d’elles, tint les scrutins populaires étaient alors viciés ! — il fut, au mois d’avril 1793, élu curé de Saint-Augustin. Dans le clergé de Paris l’émoi fut extrême. Deux des curés de la ville s’adressèrent à Gobel, lui représentèrent le scandale du choix ; le conjurèrent de refuser l’institution à un sujet indigne. Gobel, élevé au siège de Saint-Denis, aimait qu’on l’appelât le premier évêque de France. Mais la peur était la maîtresse de sa