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ruines, de telle sorte que, le moment venu, rien ne nous soit plus facile que de dévaliser notre proie… On pourra discourir à perdre haleine, expliquer, embellir, soutenir la politique du Président. Cette politique, la voilà… »

Il est difficile de rendre l’agrément avec lequel ces choses sérieuses sont dites, la richesse des détails d’ordre pittoresque ou intime qui les encadrent. Ce sont de magnifiques matinées d’automne dans la vallée de Mexico que ferme, sur un vaste horizon, la masse des grands volcans neigeux. A Sechimico, devant les jardins flottans, au bois de Chepultepec, sous le dôme majestueux des « ahuehuetes » millénaires, contemporains des ancêtres de Montezuma, près du lac où se reflète, entre les sillages des cygnes, leur antique acropole, ce sont d’autres enchantemens. Les marchés, les foires où les pauvres Indiens apportent les menus objets de leur négoce, fruits multicolores, gibier, poteries émaillées, figurines symboliques, fournissent mille croquis animés. Et puis, c’est la cherté de la vie, les caprices des domestiques indigènes, les bizarreries culinaires, les embarras d’une maîtresse de maison en lutte contre un exotisme compliqué de révolution.

Avec tant de goût pour les choses du Mexique, pourrait-on être malveillant à l’égard des hommes ? Il est difficile, sans doute de se montrer sévère pour des personnes qu’on fréquente et qu’on nomme aussi librement en toutes lettres… Mais la sympathie de l’écrivain a quelque chose de si persuasif, que l’on s’en étonne à peine devant ce tableau d’une société où il semble qu’il n’y ait guère en conflit que les opinions politiques.

La première fois que Mme O’Shaughnessy rencontre Huerta, c’est à une réception offerte au Corps diplomatique par le dictateur, dans ces mêmes salons du château de Chepultepec, où, dit-elle, elle avait laissé en plein triomphe, à la fin de son premier séjour, ce Madéro et ce Piño Suarez dont les fantômes lui parurent venir à sa rencontre, sur la terrasse.

« Huerta, écrit-elle, est un homme de taille moyenne, aux larges épaules, avec une expression de visage à la fois aimable, sérieuse et pénétrante ; ses yeux investigateurs sont toujours en mouvement, a demi voilés derrière de larges verres de lunettes. Il ne trahit aucun signe de cet alcoolisme dont on a tant parlé ; au contraire, il a plutôt l’air d’un buveur d’eau et donne l’impression d’une énergie latente bien propre à le porter à