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combat, par des troupes débarquées de la flotte de l’Atlantique qui, détail à ne pas négliger, faisait déjà route pour le Mexique, quand les pourparlers étaient encore en cours.

Il serait difficile de rendre le mouvement, la trépidation, pour mieux dire, des heures d’angoisse que Mme O’Shaughnessy, à partir de ce moment, avec un don d’évocation remarquable, nous fait vivre à côté d’elle. Qu’on songe que plus de mille résidens américains sont encore dans la ville, noyés au milieu d’un demi-million d’aborigènes, que plus de 400 kilomètres séparent Mexico de Veracruz, en passant par le massif de l’Orizaba, l’un des plus formidables de la Cordillère, que nombreux sont les trains qui ont sauté sur cette route ; que l’intervention des États-Unis va donner à l’insurrection un surcroit de force et d’audace ; qu’on s’attend à voir se reproduire, d’un moment à l’autre, une situation analogue à celle de Pékin, pendant le terrible siège des légations… Quels risques, dans de pareilles conditions, n’offre pas la remise de ses passeports à un chef de mission qui représente l’ennemi, et le départ immédiat qui doit s’ensuivre ?

Sur ces entrefaites, par un vrai coup de théâtre, Huerta s’annonce à l’ambassade des États-Unis. Il s’annonce en simple particulier. L’hôtel est entouré de troupes pour la protection éventuelle de ceux qui l’occupent. C’est Mme O’Shaughnessy, dont le cœur bat à tout rompre, qui reçoit le dictateur. Du reste, l’objet de cette visite est inattendu autant que la démarche elle-même. Il s’agit d’une invitation pour le mariage du fils du général. L’entrevue, racontée par Mme O’Shaughnessy avec la vivacité ordinaire de ses récits, est empreinte d’une dramatique solennité. Singulier moment, en vérité, pour convier des adversaires officiels à une noce ! Et cependant les adversaires acceptent, tant la situation, paradoxale dès son principe, a de mal a sortir du paradoxe. Malgré son objet, de pur apparat, l’entretien se ressent des sous-entendus redoutables qui sont dans l’air… Plus d’une fois, les larmes viennent aux yeux de la maîtresse de maison, durant cette conversation pénible qu’abrège enfin le retour de son mari. Le général se retire alors, en faisant à la jeune femme dont il se sent compris un salut profond et pénétré. « C’est donc ainsi que se fait l’histoire ! écrit-elle tristement. C’est donc ainsi qu’un homme que les circonstances et sa volonté portaient au sommet se trouve brisé