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Grétry le principe et la fin, le propre et le tout, ou peu s’en faut, de la musique. « La musique, disait Beethoven, est esprit et elle est âme. » L’âme d’un Grétry, presque seule, est touchée par elle. Selon lui, c’est à la sensibilité qu’elle s’adresse, beaucoup plus qu’à l’entendement.

Interprète fidèle de toutes nos affections, capable de produire en nous et de reproduire hors de nous tous les mouvemens de notre cœur, elle n’a d’autre mission, d’autre dignité même que de nous émouvoir. Aussi l’auteur des Essais a-t-il donné comme sujet et comme titre à l’une des parties, non la moindre, de son ouvrage : « L’analyse des passions, des caractères, des sensations de l’homme, suivie d’une application à l’art. » C’est un véritable traité d’éthique musicale. Deux principes le dominent, qui sont pour Grétry non seulement les vertus maîtresses, mais les deux seules raisons d’être de la musique : la vérité et la sensibilité. De ce manuel ou de ce dictionnaire de l’expression musicale, certains articles sont ingénieux et pénétrans ; il y a dans plus d’un autre bien de la convention et de l’arbitraire, quand ce n’est pas de la naïveté, voire de l’enfantillage. Le catalogue des passions ou des caractères, considérés d’abord en eux-mêmes, puis par rapport aux meilleurs moyens de les mettre en musique, ne comprend pas moins d’une cinquantaine de numéros. La plupart des dispositions morales y figurent, hormis les « passions exaspérées, » comme disait Grétry lui-même, en ajoutant qu’il n’y entendait rien. Voici la matière et l’intitulé de quelques chapitres : « Douceur de caractère, candeur, pudeur. — Les femmes. — De la coquetterie sans amour. — De l’amitié. — De l’avarice. — L’orgueilleux, l’ambitieux, le glorieux. — L’indolent. — Du babillard. — Le gobe-mouches, le niais. — Des larmes. — Du fat, etc. » On le voit, c’est tout le répertoire de la comédie, avec recettes musicales appropriées aux types divers. Sur la pudeur en soi et la pudeur en musique, on citerait vingt détails de sentiment ou de style dans le goût du temps, et délicieux. Le chapitre des femmes est naturellement l’un des plus riches en observations, en maximes. La femme vertueuse y est honorée, mais la coquette n’y est point oubliée non plus, témoin cette étonnante apostrophe : « Si dans nos promenades un homme inconnu te fixe modestement, ou avec étonnement, et que ce regard te plaise, avec quel art tu sais lui ordonner de te voir à chaque tour