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Peu de temps après le mariage, M. Gibbon était à Paris et, tous les jours, faisait visite à Mme Necker. Une fois, M. Necker le retient à souper et, le souper fini, se retire, va se coucher, le laisse tête à tête avec sa femme. Voilà de la confiance, et que méritait Mme Necker, et qui taquinait la fatuité de Gibbon : « C’est, disait-il, regarder un ancien amant comme de bien peu de conséquence. » Mme Necker écrivait à l’une de ses amies que jamais sa « vanité féminine » n’avait été plus satisfaite qu’en voyant « celui qui l’avait dédaignée devenu auprès d’elle doux, humble, décent jusqu’à la pudeur, témoin perpétuel de la tendresse de son mari et admirateur zélé de l’opulence. » Quand Gibbon fut célèbre comme l’auteur de la fameuse Histoire romaine, il devint l’un des ornemens du riche salon de Mme Necker.

Germaine Necker était encore enfant et remarqua le vif plaisir que ses parens prenaient à la compagnie de M. Gibbon. Elle avait déjà une magnifique ardeur de dévouement : elle offrit à ses parens d’épouser M. Gibbon, « afin qu’ils jouissent constamment d’une conversation qui leur était si agréable. » Plus tard, beaucoup plus tard, songeant à ce bonhomme, elle faisait, et par écrit, de ces réflexions : « Quand je le vois, je me demande si je serais née de son union avec ma mère ; je me réponds que non et qu’il suffisait de mon père seul pour que je vinsse au monde. » Elle résout ainsi, avec sa tendresse filiale, ce problème si éperdument insoluble. Et, du reste, elle avait de l’amitié pour Gibbon. Elle lui écrivait : « votre aimable raison… » Elle lui écrivait encore : « Au visage près, vous êtes cent fois plus aimable que moi… » Et puis, au mois de janvier 1794, Mme de Staël écrit à son époux : « Le pauvre Gibbon, dont tu m’as entendu parler comme du seul homme qui pût attacher à la Suisse, est mort en Angleterre… » Voilà tout ce que dit, à ce propos, Mme de Staël ; et sans doute aura-t-elle pensé que M. de Staël n’en demandait pas davantage. Mais, quelque vingt ans plus tard, Byron qui voyageait aux bords du Léman, cueillit des roses, dans le jardin de Gibbon, et une petite branche de l’acacia autour duquel se promena cet écrivain la nuit qu’il eut terminé son Histoire.


Charles-Victor Bonstetten, c’est le Bernois si intelligent, « Bernois aussi peu Bernois que possible, » qui enchantait Sainte-Beuve, et auquel il n’a pas consacré moins de trois Causeries du lundi, et qu’il appelait « Bonstetten ou le vieillard rajeuni. » Bonstetten a vécu près de quatre-vingt-sept ans ; et, dans sa jeunesse, il avait