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Quoi ! n’a-t-il pas besoin d’être aimé ? Va-t-il, de gaieté de cœur, se procurer des ennemis ? Ennemis qu’il n’aura point volés : car il est naturel que les gens détestent qui attaque « les opinions sur lesquelles ils fondent leur bonheur ; » les gens se défendent ! « Laisse en paix la Trinité, la Vierge et les Saints ; pour la plupart de ceux qui sont attachés à cette doctrine, ce sont les colonnes qui soutiennent tout l’édifice ; il s’écroulera, si tu les ébranles. Et que deviendront les âmes que tu auras privées de toute consolation et de toute espérance ? » Mme de Sismondi appartient à la religion dite réformée : ce n’est pas sa croyance, qu’elle protège. Et, au surplus, si le jeune homme trop sûr de lui prétend que les opinions qu’elle protège sont des erreurs, elle réplique : « Les erreurs reçues depuis longtemps sont plus respectables que celles que nous voudrions y substituer. » Car elle ne s’attend pas que la philosophie attrape jamais la vérité ; elle parait ne point le désirer. Le duc de Broglie, quand il épousa Mlle de Staël en 1816, connut Mme de Sismondi ; et il l’a peinte comme « la véritable matrone d’une république fondée par Calvin : » ce n’est pas faire à son esprit de douceur et à sa gentillesse avisée tout le compliment qu’elle mérite.

Averti par les fines remontrances de sa mère, Sismondi laissa en paix le Trinité, la Vierge, les Saints et les âmes heureusement crédules. Une autre fois, il était sur le point de se lier avec Benjamin Constant d’une façon peut-être un peu téméraire. Sa mère lui écrit : « Tu vas me trouver pis que ridicule, mon Charles, si je me mêle de te donner des avis sur Constant. Mais enfin, mais enfin, il est du nombre de ceux à qui il ne faut pas se livrer entièrement. Il n’a de sensibilité que celle des passions ; il fait tout avec de l’esprit, il en a infiniment ; mais ce qu’on appelle de l’âme, il n’en a point. » Sur Benjamin, qu’a-t-on jamais dit de plus pénétrant ? Sismondi se méfia de Benjamin. Mme de Sismondi intervient encore, à l’occasion de ce voyage en Italie, où son fils doit accompagner Mme de Staël… « Prends garde ! écrit-elle. C’est comme un court mariage : toujours et toujours ensemble, on se voit trop ; les défauts ne trouvent pas de coin pour se cacher. Un enfant gâté, comme elle, de la nature et du monde doit certes avoir les siens pour le matin, pour les momens de fatigue et d’ennui ; et je connais quelqu’un qui se cabre, lorsqu’il rencontre une tache chez les gens qu’il aime… » Cette fois, Mme de Sismondi ne réussit pas à détourner son fils d’un projet périlleux. Il voyagea et sortit de l’épreuve à son avantage.

Mme de Staël a été pour lui une amie parfaite, et si parfaite qu’il a