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En un mot, l’ensemble de ces aveux et de ces faits révèle le plan militaire allemand initiateur du plan politique et qui était de s’assurer la victoire par une manœuvre foudroyante consistant à tourner nos places de l’Est pour prendre nos armées comme dans un étau : on tournait Belfort et Epinal par la trouée de Charmes ; on tournait Toul et Verdun en débouchant sur la frontière des Ardennes et sur la Meuse.

Cette situation étant donnée, on s’aperçoit que l’invasion du duché de Luxembourg par les armées allemandes dès le 1er août, avant la déclaration de guerre, n’est nullement un fait d’importance secondaire comme on a quelque tendance à le laisser croire, mais un des principaux élémens d’appréciation relativement au plan politique et militaire de l’Allemagne. Rien ne démontre mieux sa préméditation. En effet, mettre le pied sur le territoire du Luxembourg, c’était violer l’une des neutralités ; la violation de l’autre, c’est-à-dire de la neutralité belge devait s’ensuivre fatalement : la théorie du « chiffon de papier » s’appliquait dans les deux cas.

C’est avant la déclaration de guerre, avant les ouvertures adressées à la Belgique pour laisser franchir son territoire, que le territoire du grand-duché est occupé. Il fallait, évidemment, un intérêt stratégique de premier ordre, pour décider le gouvernement allemand à une procédure si audacieuse et qui avait pour conséquence, à peu près fatale, l’intervention de l’Angleterre.

Ramassons l’ensemble de ces observations dans une conclusion qui parait irréfutable. Ce sont les militaires qui, pour des raisons militaires, ont imposé ces graves initiatives diplomatiques et militaires. En revanche, les militaires prenaient l’engagement de frapper rapidement des coups décisifs. La guerre était leur œuvre : mais ils garantissaient la victoire immédiate. Jagow, d’ailleurs, a essayé de se disculper quand il prononça la fameuse phrase, qui est une précaution autant qu’un aveu : « Au conseil tenu à Potsdam, les militaires l’ont emporté sur les civils[1]. »

  1. Un simple extrait de presse nous permet de constater que la question de la responsabilité du « grand plan » est posée publiquement en Allemagne : « Quel est le véritable auteur du plan de la ruée allemande en août 1914 ? La question a été posée au Landtag de Bavière et le comte Hertling, ministre-président, sans donner aucun détail, s’est exprimé ainsi à ce sujet : « C’est au grand état-major et, tout particulièrement, au général von Moltke que revient l’honneur d’un plan aussi grandiose. » (Cet « honneur » lui a valu d’être écarté du commandement dès la première phase de la guerre.) Le ministre bavarois a ajouté qu’une autorité supérieure (c’est évidemment l’Empereur) pouvait avoir inspiré ce plan et l’avoir imposé, sans préciser davantage. (Voilà bien la connexion entre les idées de l’Empereur sur Schlieffen et le plan de la guerre.)
    Certains journaux influens, surtout pangermanistes, notamment la Frankfurter Zeitung et la Tœglische Rundschau, ont posé la même question sans donner de réponse plus précise que celle du comte Hertling. On peut conclure que le Kaiser a eu la principale initiative d’une ruée irrésistible des armées allemandes sur Paris et que von Moltke avec son état-major en ont seulement préparé l’exécution.