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elles. Elles reculèrent ; mais elles reculèrent d’un seul front.

La manœuvre pseudo-frédéricienne ayant échoué, la grande manœuvre de Schlieffen fut, en même temps, compromise. En effet, la « surprise » des Allemands était éventée ; la mèche était partie trop tôt : cette immense armée de 550 à 600 000 hommes, que l’on gardait soigneusement dans les bois pour frapper le coup décisif, était dénichée. On avait appliqué, à la lettre, le précepte de Napoléon : « On reconnaît une armée avec une armée. »

L’opération fut sanglante ; l’armée française paya cher sa témérité. Elle se trouva en présence de ces formations colossales amassées par la longue préméditation de l’Allemagne et qui faisaient dire à Maximilien Harden, précisément le 4 août 1914 : « Tout est prévu ; tout est prêt. »

Tout était prévu, en effet, sauf l’audace d’une offensive qui viendrait, jusqu’au fond de la forêt des Ardennes, prendre à partie des troupes qui défilaient en toute sécurité à l’abri des bois. Les écrivains allemands, comme les carnets de route allemands, reconnaissent qu’il y eut, partout, « combats de rencontre, » et que les armées allemandes furent soudainement arrêtées sur des positions différentes de celles où elles se croyaient appelées à combattre.

Rien ne dut être plus amer pour le haut commandement allemand que cette offensive hardie qui, non seulement, découvrait ses troupes, mais les ébranlait avant l’heure.

Certes, les soldats allemands résistèrent vigoureusement et ils obtinrent le succès tactique. Mais le succès stratégique se déroba. Il se déroba devant von Hausen ; il se déroba devant le duc de Wurtemberg qui, fortement éprouvé, ne put que s’avancer péniblement pour livrer, les 27 et 28 août, une nouvelle bataille sur la Meuse[1] ; il se déroba devant le kronprinz qui, fortement secoué à Fillières et surtout à Etain, ne put

  1. « Une nouvelle bataille, » le lendemain d’une bataille, c’est ce que Schlieffen voulait éviter, à tout prix, par son système. Il s’élève contre ces guerres traînantes où « c’est toujours à recommencer. » Il dit, des généraux prussiens en 1866 : « Ils n’envisagèrent jamais une bataille d’anéantissement… Ils attaquaient de front une position… le vaincu quittait le champ de bataille… le vainqueur le laissait décamper et ne s’inquiétait que du nouveau combat à livrer le lendemain… Moltke, au contraire, ne cherchait qu’à former autour de l’adversaire le cercle destiné à le briser… » Les généraux de 1914 paraissent avoir été les élèves assez médiocres de Moltke et de Schlieffen.