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n’altère son essence par l’absorption de substances étrangères. C’est le traiter en personne de bien petite santé. Je le crois plus robuste, capable de réagir à toutes les pressions du dehors, capable d’assimiler tous les alimens qu’il absorbe. Notre passé me répond de notre avenir. Nous avons bien digéré Rome. Cette puissance d’assimilation, et la curiosité qui lui fournit de la matière, sont dans un rapport étroit avec un des caractères les plus marqués de notre littérature, le caractère que Brunetière, dans un de ses plus beaux essais, a si éloquemment défini. D’autres littératures sont peut-être plus originales que la nôtre ; la nationalité, la race s’y font sentir plus fortement ; elles ont mieux conservé leur indépendance, leur pureté, leur saveur de terroir. Chez nous, la nationalité s’est dépouillée. Nous ne nous sommes pas développés dans le sens de la particularité, de la localité, mais dans celui de l’universalité, de l’humanité. Nous avons voulu qu’on devînt plus Français, à mesure qu’on serait plus humain. Nous n’avons jamais su ce que c’était que des vérités françaises : nous ne connaissons que la vérité, sans épithète, la vérité de tous les hommes.

Et c’est pour cela que nous avons toujours recueilli toutes les idées de toutes les nations ; nous les avons traitées comme nos propres idées, filtrées, humanisées, pour les distribuer ensuite par toute l’Europe et dans le monde entier. La vertu civilisatrice de notre littérature tient à ce que nous n’avons jamais repoussé ni une forme de la vérité, ni une forme de la beauté, comme étrangères à notre race. Notre puissance d’expansion est faite de notre réceptivité même. Si l’Europe, si le monde ont donné parfois à notre langue un empire presque universel, c’est qu’ils estimaient, — ils savaient, — que nous ne leur apportions pas la tyrannie d’un tempérament ethnique, mais la lumière de la raison humaine.

Aurions-nous pu remplir ce rôle historique, qui est notre gloire, si nous avions eu le souci illusoire et puéril de rester purs, l’orgueilleuse, la sauvage prétention de ne pas mêler notre esprit aux esprits des autres peuples, et de donner sans recevoir ?


Le programme de la séance comportait ensuite un discours de M. Théodore Roosevelt, « T. R. » ou « le Colonel, » comme