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disent les journaux d’ici. Cet homme, que les politiciens de son parti ont écarté de la candidature à la présidence, est probablement le personnage le plus populaire des États-Unis : on l’a bien vu à l’accueil frénétique qui lui a été fait par toute la salle, dès qu’il s’est levé. Par une curieuse rencontre, il avait pris pour thème : « Le nationalisme dans la littérature et dans l’art. » C’était le sujet même que je venais de traiter. J’avais parlé du point de vue français, du point de vue d’un peuple qui a derrière lui dix siècles d’intense activité littéraire, et qui a conquis le droit de n’avoir plus d’inquiétudes sur sa capacité d’expression personnelle. M. Roosevelt se plaça au point de vue de son pays, au point de vue d’un peuple jeune qui n’a point encore réalisé son originalité, et qui commence à s’inquiéter d’être toujours à l’école des autres peuples et de faire éternellement des copies. De ces deux positions où nous étions installés, nous pouvions nous contredire en demeurant d’accord.

M. Roosevelt eut beau prétendre, aimablement, que j’avais fait son discours et qu’il ne lui restait rien à dire : on vit bien, dès ses premiers mots, qu’il avait tout à dire, du biais dont il prenait les choses. D’ailleurs, quel homme pourrait faire un discours de Roosevelt, sans être T. R. lui-même ?

Voici, librement et faiblement traduits, les principaux passages de son adresse, tels que j’ai pu les recueillir des journaux de New-York :

« Le produit américain, — littéraire ou artistique, — doit, dans son caractère intellectuel, sentimental et moral, avoir la saveur du terroir américain : sinon, il n’aura que peu ou point de valeur durable.

« Une seule chose est pire que le refus de s’ouvrir à une beauté ou une grandeur étrangère : c’est de la copier servilement. Même les plus grands maîtres ne paraissent pas à leur avantage, quand ils s’appliquent à copier un chef-d’œuvre étranger ! J’aime mieux douze vers d’Homère que tout le drame de Troilus et Cressida, à une demi-douzaine de vers près.

« Le bénéfice de l’assimilation d’une culture étrangère doit consister dans le développement de l’esprit qui assimile, de sorte qu’il puisse utiliser sa force nouvelle dans des créations conformes au génie de son propre pays.

« Le bon Joël Barlow s’aperçut un jour que nous étions une